Métrique en Ligne
NOR_1/NOR19
corpus Pamela Puntel
Jacques NORMAND
TABLETTES D’UN MOBILE
1870-1871
1871
A MON FUSIL
IL me va donc falloir te rendre, 8
Bon fusil, que pendant six mois 8
J’ai couvé d’une amitié tendre, 8
Et que j’ai frotté tant de fois ! 8
5 Or çà, notre tâche est finie ; 8
Nous avons, malgré nos regrets, 8
En fait de gloire, une élégie, 8
En fait de lauriers, des cyprès. 8
Lorsque nous fîmes connaissance 8
10 Au camp, jadis, te souviens-tu 8
Combien nous avions de vaillance 8
Et quelle était notre vertu ? 8
Pendant six mois j’ai cru sans cesse 8
Qu’un jour viendrait où nous pourrions 8
15 Essayer tous deux notre adresse 8
Et trouer d’épais bataillons. 8
Hélas ! malgré notre espérance 8
Et nos efforts, mon vieil ami, 8
Nous n’avons sur la conscience 8
20 Le meurtre d'aucun ennemi. 8
Va donc ! je te quitte sans peine, 8
Et te laisse aller de ma main 8
Comme on jette un bâton de chêne 8
Qu’on a coupé sur son chemin. 8
25 Que belle était la vieille guerre, 8
Que beaux étaient les vieux combats, 8
Au soleil, en pleine clairière, 8
Cœur contre cœur, bras contre bras ! 8
O les vaillantes équipées 8
30 Du seigneur et de son coursier ! 8
Et les coups des grandes épées 8
Qui retentissaient sur l’acier ! 8
O les rencontres gigantesques 8
Dans les forêts et les ravins, 8
35 Lances contre sabres moresques, 8
Et Français contre Sarrasins ! 8
Quand un canon, la poudre née, 8
Au troisième coup éclatait ; 8
Un fusil, dans une journée, 8
40 Partait dix fois — quand il partait. — 8
Que c’étaient choses encor belles 8
Les grandes charges d’escadrons, 8
Et les chevaux prenant des ailes 8
Au souffle entraînant des clairons ! 8
45 Aux accents de la Marseillaise, 8
Des remparts, des forts emportés, 8
Et la baïonnette française 8
Trouant les rangs épouvantés ! 8
Vive l’ardente et chaude ivresse 8
50 Du soldat qui va de l’avant 8
A l’assaut d'une forteresse, 8
Le front levé, l’épée au vent ! 8
Vive la bravoure qui bouge ! 8
En plaine, au soleil, loin des bois. 8
55 L’acier est bleu, le sang est rouge ; 8
C’est la bravoure des Gaulois ! 8
Alors on pouvait être brave ; 8
Maintenant on n’est plus que fort. 8
A plat ventre comme un esclave, 8
60 Vous attendez venir la mort. 8
Sur une colline lointaine 8
Votre lorgnette apercevra 8
Un peu de fumée, à grand’ peine, 8
Et c’est le coup qui vous tuera. 8
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