Métrique en Ligne
NOR_1/NOR1
corpus Pamela Puntel
Jacques NORMAND
TABLETTES D’UN MOBILE
1870-1871
1871
LES FRANCS-FILEURS
Le régiment des francs-fileurs 8
Est un vrai régiment modèle ; 8
Et ses soldats sont les meilleurs 8
Pour s’élancer à tire-d’aile 8
5 Ailleurs. 2
Quand, pour investir notre ville, 8
L'Allemand lança son filet, 8
On vit comme — bouche inutile — 8
Plus d’un franc-fileur qui filait. 8
10 L'un s’en allait pour sa famille, 8
Qu’il ne pouvait laisser ici ; 8
Pour ses enfants, sa grande fille, 8
Qui lui causait bien du souci ; 8
L’autre, pour défendre la Loire 8
15 Et mettre le pays debout ; 8
Tel autre partait… pour la gloire, 8
Et tel autre… pour rien du tout. 8
C’est ainsi qu‘avec une entente, 8
Un ensemble des plus parfaits, 8
20 Ces messieurs plièrent la tente 8
Et préparèrent leurs paquets. 8
Étant d’intelligence rare, 8
Ils avaient très-bien su prévoir 8
Qu’au jour où la Prusse barbare 8
25 Autour de nous viendrait s’asseoir, 8
On pourrait faire maigre chère, 8
Manger du perdreau rarement. 8
Du bœuf, fort peu ; – du mouton, guère ; — 8
Du pain même — modérément. 8
30 Là-bas, c’était manger et vivre ; 8
Mais ici, vivre sans manger. 8
Quel embarras ! quel parti suivre ? 8
Le déshonneur ou le danger ? 8
Bah ! la gloire est chose tentante, 8
35 Mais les estomacs délicats 8
Ont besoin de viande saignante… 8
J'aime mieux m’en aller là-bas. 8
Et puis, plus que la nourriture, 8
Ils craignaient,— et non sans raison,— 8
40 Que les Prussiens (malice pure !) 8
Ne se servissent du canon. 8
Or la nuit, tandis qu’on sommeille, 8
Est-il rien de plus ennuyeux 8
Que ce fracas qui vous réveille 8
45 Et vous fait entr’ouvrir les yeux ? 8
Et puis les blessés… car sans doute 8
On en verra plus d’un passer, 8
Qui sait ? Peut-être sur la route 8
Forcera-t-on à les panser ? 8
50 Ah ! cette crainte est la dernière : 8
Et puis la viande de cheval… 8
Non ! je ne puis être infirmière, 8
Car l’aspect du sang me fait mal. 8
Outre cela, que va-t-on faire 8
55 Pendant si longtemps à Paris ? 8
Le Bois tout entier est par terre ! 8
Plus d’Opéra les mercredis ! 8
Pour sûr, au train dont vont les choses. 8
Cet hiver on recevra peu : 8
60 Mes deux nouvelles robes roses 8
Quand donc les mettrai-je, mon Dieu ? 8
Mais ce sera la mort d’avance 8
Que de passer l’hiver ainsi : 8
J’en tremble déjà quand j’y pense. 8
65 Non ! je ne puis rester ici. 8
Moi qui suis si bien aux lumières ! 8
Mais j’oubliais ! il faut partir : 8
Le docteur me disait naguères 8
Que l’ennui me ferait maigrir. 8
70 Quand, après la guerre finie, 8
Frais et gaillards ils reviendront, 8
Ceux qui restaient pour la patrie, 8
Quand ils partaient, se souviendront. 8
Lorgnon dans l’œil, mine riante, 8
75 Tranquilles comme Alis-Babas, 8
De la ville encor palpitante 8
Ils visiteront les dégâts. 8
En nous rencontrant sur leur route, 8
Tendant vers nous leurs doigts gantés. 8
80 Ils nous demanderont sans doute 8
Des nouvelles de nos santés. 8
Nous alors, sans vouloir leur rendre 8
Leurs joyeux serrements de main, 8
De façon qu’ils puissent l’entendre, 8
85 Nous fredonnerons ce refrain : 8
Le régiment des francs-fileurs 8
Est un vrai régiment modèle, 8
Et ses soldats sont les meilleurs 8
Pour s’élancer à tire-d’aile 8
90 Ailleurs. 2
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