Métrique en Ligne
NOA_2/NOA302
Anna de NOAILLES
Poèmes de l'Amour
1924
CLXXIV
Le hasard et les jours passent d’un pied rapide, 12
On ne sait ce qui vient ni ce qui va cesser ; 12
La place où bat mon cœur peut soudain être aride, 12
La chance est brève, hélas ! et tu n’es pas pressé ! 12
5 Et tu ne te dis pas, sous les cieux monotones 12
Où tout est triste, amer, médiocre, décevant : 12
« J’irai vers cette femme en ce matin d’automne, 12
« J’aborderai ces yeux plus larges que le vent ! 12
« J’aborderai ce cœur qui n’a pas eu la crainte 12
10 « De confier ses vœux, ses plaintes et ses pleurs. 12
« Visage démuni sans réserve et sans feinte, 12
« Où le trop vif amour insinuait sa peur ! 12
« Puisqu’elle m’a tout dit, bien qu’étant grave et fière, 12
« Je pourrai demeurer simple et silencieux, 12
15 « Et faire un don naïf, à cette âme plénière, 12
« Des secrètes beautés qu’elle voit dans mes yeux. 12
« Je la devine bien, et je n’ai pas eu même 12
« À chercher quel était son épuisant souci : 12
« Sa voix m’a tristement annoncé qu’elle m’aime, 12
20 « Comme on dit que l’on meurt et que c’est bien ainsi ! 12
« Jamais le cœur puissant qui pâlit son visage 12
« N’a tenté de goûter sur le mien son repos ; 12
« M’aimant, elle s’éloigne, et son front net et sage 12
« Renferme le courage isolé des héros ! 12
25 « Puissante et délicate, usant de tendre ruse, 12
« Elle va sans faiblir vers un but périlleux ; 12
« Malgré son pas joyeux, jamais rien ne l’amuse 12
« Que le tragique espoir que l’on a d’être heureux ! » 12
— Non tu ne te dis pas : j’allégerai sa peine, 12
30 Je ne laisserai pas languir ce cœur de feu, 12
J’apporterai le lot de ma tendresse humaine 12
À ce doux corps surpris de ne pas être deux. 12
Non tu ne te dis pas : que puis-je craindre, en somme, 12
Puisque rien ne me nuit en son plaintif désir ? 12
35 Cette compagne insigne et songeuse des hommes, 12
Serai-je la seule âme à ne pas l’accueillir ? 12
Sur le globe sans joie où deux races existent, 12
Celle des morts, hélas ! et celle des vivants, 12
As-tu vraiment voulu rendre toujours plus triste 12
40 Le cœur le plus rêveur et le moins décevant ? 12
Viens, parfum ! viens, chaleur ! azur ! air ! nourriture ! 12
Amour, répands sur moi l’unique illusion, 12
Puisque l’indifférente et moqueuse Nature 12
Protège les humains pendant la passion ! 12
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