Métrique en Ligne
NOA_2/NOA289
Anna de NOAILLES
Poèmes de l'Amour
1924
CLXI
Je croyais que l’amour c’était toi seul. J’entends 12
Soudain l’étrange et pur silence du printemps ! 12
Le soir n’arrive point à l’heure coutumière : 12
Ce doux prolongement de rêveuse lumière 12
5 Est comme un messager qui dans le drame accourt 12
Et puis d’abord se tait. — Je croyais que l’amour 12
C’était toi seul, avec, serrés sur ton visage, 12
La musique, les cieux, les climats, les voyages. 12
Mais plus énigmatique, et plus réelle aussi, 12
10 Le doigt levé, ainsi que Saint Jean, de Vinci, 12
Écoutant je ne sais quelle immense nouvelle, 12
L’heure, qui se maintient et lentement chancelle, 12
Me fixe d’un regard où les siècles ont mis 12
Le secret fraternel à mon esprit promis… 12
15 Le vent s’essaye et tombe. Au loin un chien aboie. 12
— Toi qui fus la douleur dont j’avais fait ma joie, 12
Toi par qui je portais, mendiant, un trésor, 12
Qui fus mon choix soudain et pourtant mon effort, 12
Toi que mon cœur vantait, en appelant sa chance 12
20 Cette ardente, servile, oppressante souffrance 12
De sentir tout mon être entravé par ton corps, 12
Toi qui fus mon salut et mon péril extrême, 12
Se pourrait-il ce soir que, plus fort que toi-même, 12
L’éternel univers fût vraiment ce que j’aime ?… 12
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