Métrique en Ligne
NOA_1/NOA97
Anna de NOAILLES
Les Vivants et les Morts
1913
III
LES ÉLÉVATIONS
SI VOUS PARLIEZ, SEIGNEUR…
Si vous parliez, Seigneur, je vous entendrais bien, 12
Car toute humaine voix pour mon âme s'est tue, 12
Je reste seule auprès de ma force abattue, 12
J'ai quitté tout appui, j'ai rompu tout lien. 12
5 Mon cœur méditatif et qui boit la lumière 12
Vous aurait absorbé, si, transgressant les lois, 12
Comme le vent des nuits qui pénètre les pierres 12
Votre verbe enflammé fût descendu sur moi ! 12
Nul ne vous souhaitait avec tant d'indigence : 12
10 Je vous aurais fêté au son du tympanon 12
Si j'avais, dans mon triste et studieux silence, 12
Entendu votre voix et connu votre nom. 12
Si forte qu'eût été l'ombre sur vos visages, 12
Sublime Trinité ! j'eusse écarté la nuit, 12
15 Mon esprit vous aurait poursuivie sans ennui, 12
Et j'aurais abordé à votre clair rivage… 12
Mais jamais rien à moi ne vous a révélé 12
Seigneur ! ni le ciel lourd comme une eau suspendue, 12
Ni l'exaltation de l'été sur les blés, 12
20 Ni le temple ionien sur la montagne ardue ; 12
Ni les cloches qui sont un encens cadencé, 12
Ni le courage humain, toujours sans récompense, 12
Ni les morts, dont l'hostile et pénétrant silence 12
Semble un renoncement invincible et lassé ; 12
25 Ni ces nuits où l'esprit retient comme une preuve 12
Son aspiration au bien universel ; 12
Ni la lune qui rêve, et voit passer le fleuve 12
Des baisers fugitifs sous les cieux éternels. 12
Hélas ! ni ces matins de ma brûlante enfance, 12
30 Où, dans les prés gonflés d'un nuage d'odeur, 12
Je sentais, tant l'extase en moi jetait sa lance, 12
Un ange dans les cieux qui m'arrachait le cœur ! 12
Pourtant, ayez pitié ! Que votre main penchante 12
Vienne guider mon sort douloureux et terni ; 12
35 J'aspire à vous, Splendeur, Raison éblouissante ! 12
Mais je ne vous vois pas, ô mon Dieu ! et je chante 12
A cause du vide infini ! 8
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