Métrique en Ligne
NOA_1/NOA58
Anna de NOAILLES
Les Vivants et les Morts
1913
II
LES CLIMATS
L'AIR BRÛLE, LA CHAUDE MAGIE…
Que tu es heureuse, cigale, quand,
du sommet des arbres, abreuvée
d'une goutte de rosée, tu dors
comme une reine.
ANACREON.
L'air brûle, la chaude magie 8
De l'Orient pèse sur nous, 8
Nous périssons de nostalgie 8
Dans l'éther trop riche et trop doux. 8
5 On entrevoit un jardin vide 8
Que la paix du soir inclina, 8
Et là-bas, la mosquée aride 8
Couleur de sable et de grenat. 8
La dure splendeur étrangère 8
10 Nous étourdit et nous déçoit : 8
Je me sens triste et mensongère : 8
On n'est pas bon loin de chez soi. 8
Ce ciel, ces poivriers, ces palmes, 8
Ces balcons d'un rose de fard, 8
15 Comme un vaisseau dans un port calme, 8
Rêvent aux transports du départ. 8
Ah ! comme un jour brûlant est vide ! 8
Que faudrait-il de volupté 8
Pour combler l'abîme torride 8
20 De ce continuel été ! 8
Des œillets, lourds comme des pommes, 8
Épanchent leur puissante odeur ; 8
L'air, autour de mon demi-somme, 8
Tisse un blanc cocon de chaleur… 8
25 Dans la chambre en faïence rouge 8
Où je meurs sous un éventail, 8
J'entends le bruit, qui heurte et bouge, 8
Des chèvres rompant le portail. 8
— Ainsi, c'est aujourd'hui dimanche, 8
30 Mais, dans cet exil haletant, 8
Au cœur de la cité trop blanche, 8
On ne sent plus passer le temps ; 8
Il n'est des saisons et des heures 8
Qu'au frais pays où l'on est né, 8
35 Quand sur le bord de nos demeures 8
Chaque mois bondit, étonné. 8
Cette pesante somnolence, 8
Ce chaud éclat palermitain 8
Repoussent avec indolence 8
40 Mon cœur plaintif et mon destin ; 8
Si je meurs ici, qu'on m'emporte 8
Près de la Seine au ciel léger, 8
J'aurai peur de n'être pas morte 8
Si je dors sous des orangers… 8
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