Métrique en Ligne
NOA_1/NOA43
Anna de NOAILLES
Les Vivants et les Morts
1913
I
LES PASSIONS
O MON AMI, SOIS MON TOMBEAU
O mon ami, sois mon tombeau, 8
La jeune terre étincelante 8
Et les jours d'été sont trop beaux 8
Pour une âme à jamais dolente ! 8
5 Je crains les regrets et l'espoir ; 8
Laisse-moi rentrer dans ton ombre, 8
Comme les collines du soir 8
Rejoignent la nuit ferme et sombre. 8
Avec un cœur si lourd, si lent, 8
10 Que veux-tu qu'aujourd'hui je fasse 8
Du parfum des marronniers blancs, 8
Et des promesses de l'espace ? 8
Je sais ce qu'un soir lisse et pur 8
A bu de plaisirs et de peines ! 8
15 Les corbeaux flottent sur l'azur 8
Comme un mol feuillage d'ébène. 8
Partout quel opulent loisir, 8
Quelle orgueilleuse confiance 8
Qui joint les appels du désir 8
20 Aux sécurités du silence ! 8
Les oiseaux, dans le doux embrun 8
De l'éther rose et des ramées, 8
Sont légers comme des parfums 8
Et glissent comme des fumées ; 8
25 On entend leurs limpides voix 8
Incruster de cris et de rires 8
Le ciel qui passe sur les bois 8
Comme un lent et pompeux navire. 8
— Mais je sais bien que vous mourrez, 8
30 Et que moi, si riche d'envie, 8
Je dormirai, le cœur serré, 8
Loin de la dure et sainte vie ; 8
Toutes les musiques des airs, 8
Tous ces effluves qui s'enlacent 8
35 Fuiront le souterrain désert 8
Où le temps ne luit ni ne passe ; 8
Et nous serons ce bois des morts, 8
Ces branches sèches et cassées 8
Pour qui les jours n'ont plus de sort, 8
40 Pour qui toute chose est cessée ! 8
Et pourtant mon cœur éternel, 8
Et sa tendresse inépuisable, 8
Plus que l'Océan n'a de sel, 8
Plus que l'Égypte n'a de sable, 8
45 Contenait les mille rayons 8
De toutes les aubes futures… 8
— Être un jour ce mince haillon 8
Qui gît sous toute la Nature ! 8
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