Métrique en Ligne
NOA_1/NOA20
Anna de NOAILLES
Les Vivants et les Morts
1913
I
LES PASSIONS
T'AIMER. ET QUAND LE JOUR TIMIDE…
T'aimer. Et quand le jour timide va renaître, 12
Entendre, en s'éveillant, derrière les fenêtres, 12
Les doux cris jaillissants, dispersés, des oiseaux, 12
Éclater et glisser sur la brise champêtre 12
5 Comme des grains légers de grenades sur l'eau… 12
— T'espérer ! Et sentir que le golfe halette 12
En bleuâtres soupirs vers le ciel libre et clair ; 12
Et voir l'eucalyptus, dans la liqueur de l'air, 12
Agiter son feuillage ainsi que des ablettes ! 12
10 — Voir la fête éblouie et profonde des cieux 12
Recommencer, et luire ainsi qu'au temps d'Homère, 12
Et, bondissant d'amour dans la sainte lumière, 12
La montagne acérée incisant le ciel bleu ! 12
— Et t'attendre ! Goûter cette impudique ivresse 12
15 De songer, sans encor les avoir bien connus, 12
A ton regard voilé d'amour, à tes bras nus, 12
Au doux vol hésitant de ta jeune caresse 12
Qui semble un chaud frelon par des fleurs retenu ! 12
— Et puis te voir enfin venir entre les palmes, 12
20 Innocent, assuré, sans crainte, les yeux calmes, 12
Vers mes bras enivrés où le destin fatal 12
Te pliera durement et te fera du mal ; 12
Alors saisir tes mains, comme la brusque chèvre 12
Mord la fleur de cassie et rompt le myrte étroit ; 12
25 Et, les yeux clos, avoir, pour la première fois, 12
Bu l'humide tiédeur qui dort entre tes lèvres… 12
— O cher pâtre, inquiet et désormais terni. 12
J'ai vécu pour cela, qui est déjà fini ! 12
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