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MUS_4/MUS153
Alfred de MUSSET
POÉSIES POSTHUMES
1824-1857
A Ulric Guttinguer
Oui, cher Ulric, nous le voyions 8
Ce ciel dont l’aspect vous amuse, 8
Et même nous le respirions, 8
Si ce mot plaît à votre muse. 8
5 Nous le voyions assurément 8
Entre nous, j’en conviendrai même, 8
Nous avions le bonheur suprême 8
De le voir double en ce moment. 8
Pour un chrétien, quel agrément ! 8
10 Jugez combien l’ivresse est sainte, 8
Puisque, avec deux verres d’absinthe, 8
On peut doubler le firmament. 8
Ne riez pas, l’absinthe est bonne ; 8
L’Écriture en parle beaucoup, 8
15 Et quelque part, Dieu me pardonne ! 8
Notre Seigneur en but un coup. 8
C’était, je crois, sur la montagne 8
Qu’on appelle Gethsémani ; 8
Nous la vénérons fort ici, 8
20 Mais nous préférons le champagne. 8
Puisque vous venez nous vanter 8
Ce pendu qu’on adore à Rome, 8
Commencez donc par l’imiter 8
Souvenez-vous qu’il s’est fait homme. 8
25 — Oui, cher Ulric, et nous courons 8
Au soleil, sur l’herbe fleurie, 8
Par les coteaux et les vallons, 8
Et nous menons gaiement la vie ; 8
Et nous rions, et nous trinquons 8
30 Au fond des bois sur la bruyère ; 8
Souvent même, ingrat, nous choquons, 8
A votre santé, notre verre. 8
Près de nous quand il vous plaira, 8
Vous vous étendrez sur la mousse ; 8
35 Nous croyons que la vie est douce 8
Et que Dieu nous excusera. 8
C’est un grand tort que la jeunesse, 8
Nous le savons. — Que voulez-vous ? 8
Puisque chaque âge a sa faiblesse, 8
40 Dites quelques ave pour nous. 8
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