Métrique en Ligne
MUS_4/MUS141
Alfred de MUSSET
POÉSIES POSTHUMES
1824-1857
A Madame X***
Souvent, par quelque mois de janvier, quand tout dort, 12
Qu’il pleut, qu’il fait du vent, et que mon corridor 12
Siffle, que mon rideau frissonne, et que ma porte 12
Bat, je me dis : « Voyons, s’il faut mourir, qu’importe 12
5 Que ce soit cette nuit ou bien une autre ? Et si, 12
Au lieu d’être à ce poêle à froncer le sourcil, 12
Je me mettais un bon pistolet dans la bouche, 12
Tout serait dit. Peut-être un voisin qui se couche, 12
En mettant sa chemise et son bonnet de nuit, 12
10 Dira : C’est singulier ! qui peut faire ce bruit ? 12
Puis il écoutera sur son séant et comme 12
Il ne faut qu’une balle et qu’un coup pour un homme, 12
Il se rendormira. — Cependant mon cerveau 12
Ira choir à deux pas de moi sur le carreau, 12
15 Et si demain ma sœur avec ma pauvre mère 12
S’en déchirent les bras et se roulent par terre, 12
Qu’on voye sur leur sein tout gonflé de douleurs 12
Ruisseler les cheveux ensemble avec les pleurs, 12
Qu’en saurai-je après tout ? Qu’en saura ma pensée ? 12
20 Dans ces lambeaux de chair meurtrie et dispersée ? 12
Je serai là tout raide et tout saignant. — Alors, 12
Nos amis par morceaux ramasseront mon corps ; 12
Les chandelles viendront, ma bière ; et ma maîtresse 12
Par grand amour de moi fera dire une messe ; 12
25 Puis après les corbeaux ; et qui saura demain 12
Que j’ai vécu la vie et marché le chemin ? 12
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