Métrique en Ligne
MUS_4/MUS129
Alfred de MUSSET
POÉSIES POSTHUMES
1824-1857
Après la Lecture d’Indiana
Sand, quand tu l’écrivais, où donc l’avais-tu vue, 12
Cette scène terrible où Noun, à demi nue, 12
Sur le lit d’Indiana s’enivre avec Raimond ? 12
Qui donc te la dictait, cette page brûlante 12
5 Où l’amour cherche en vain d’une main palpitante 12
Le fantôme adoré de son illusion ? 12
En as-tu dans le cœur la triste expérience ? 12
Ce qu’éprouve Raimond te le rappelais-tu ? 12
Et tous ces sentiments d’une vague souffrance, 12
10 Ces plaisirs sans bonheur, si pleins d’un vide immense, 12
As-tu rêvé cela, George, ou l’as-tu connu ? 12
N’est-ce pas le Réel dans toute sa tristesse 12
Que cette pauvre Noun, les yeux baignés de pleurs, 12
Versant à son ami le vin de sa maîtresse, 12
15 Croyant que le bonheur c’est une nuit d’ivresse, 12
Et que la volupté c’est le parfum des fleurs ? 12
Et cet être divin, cette femme angélique 12
Que, dans l’air embaumé, Raimond voit voltiger, 12
Cette frêle Indiana dont la forme magique 12
20 Erre sur les miroirs, comme un spectre léger, 12
O George, n’est-ce pas la pâle fiancée 12
Dont l’Ange du désir est l’immortel amant ? 12
N’est-ce pas l’Idéal, cette amour insensée 12
Qui sur tous les amours plane éternellement ? 12
25 Ah ! malheur à celui qui lui livre son âme ! 12
Qui couvre de baisers, sur le corps d’une femme, 12
Le fantôme d’une autre, et qui sur la beauté 12
Veut boire l’idéal dans la réalité ! 12
Malheur à l’imprudent qui, lorsque Noun l’embrasse, 12
30 Peut penser autre chose, en entrant dans son lit, 12
Sinon que Noun est belle, et que le Temps qui passe 12
A compté sur ses doigts les heures de la nuit ! 12
Demain viendra le jour , demain, désabusée, 12
Noun, la fidèle Noun, par sa douleur brisée, 12
35 Rejoindra sous les eaux l’ombre d’Ophélia ; 12
Elle abandonnera celui qui la méprise ; 12
Et le cœur orgueilleux qui ne l’a pas comprise 12
Aimera l’autre en vain. N’est-ce pas, Lélia ? 12
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