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MUS_4/MUS120
Alfred de MUSSET
POÉSIES POSTHUMES
1824-1857
Agnès
Un soir Agnès quitta son livre d'oraison 12
Et chacun s'arrêtait au seuil de sa maison 12
C'est que des anciens jours elle chantait l'histoire 12
Ou, posant son bras nu sur la harpe d'ivoire, 12
5 Pensive écoutait l'eau qui se fie en tremblant 12
Au bassin de granit qu'entoure un marbre blanc ; 12
Et cependant sa voix mêlait une ballade 12
Au murmure moqueur de la blanche cascade. 12
Toi, sous ces oliviers qui viens chanter à l'heure 12
10 De nuit, 2
Vierge, tes chants sont doux, mais ton ange qui pleure 12
S'enfuit ; 2
Il pleure près du lac te voyant sur la rive 12
T'asseoir ; 2
15 Et s'enfuit car lui-même il a peur quand arrive 12
Le soir. 2
Vierge, au soleil couchant, quelqu'un sous ta fenêtre 12
Passait, 2
Et, l'observant de loin, tu connaîtras peut-être 12
20 Qui c'est. 2
Peut-être, hélas ! il faut qu'il meure, et qu'il te voie 12
Demain, 2
Et peut-être il vient voir sous le store de soie 12
Ta main. 2
25 Vierge, ta voix est douce, au moment où s'achève 12
Le jour, 2
Mais, crois-moi, tes chansons ne valent pas un rêve 12
D'amour. 2
Crois-moi, car je me meurs, que l'on ensevelisse 12
30 Mon corps 2
Ou dans quelque palais avec un grand office 12
Des morts, 2
Ou dans quelque moutier, par une abbesse austère 12
Fermé ; 2
35 Va, j'ai beaucoup vécu, car j'ai beaucoup sur terre 12
Aimé. 2
Elle chantait ainsi lorsque son père entra. 12
Son père était le vieux Sandez de Guadarra, 12
Et, venant l'embrasser, comme il s'assit près d'elle, 12
40 Il se sentit joyeux en la trouvant si belle, 12
Car, au vieux commandeur, la vierge avait souri : 12
« Par Saint-Eustache, Agnès, il te faut un mari », 12
Dit-il. Agnès pâlit, car deux fois fiancée, 12
Une main dans sa main deux fois s'était glacée, 12
45 Et, vierge, elle était veuve, en deuil de deux époux. 12
L'un, tout jeune, à l'autel n'était pas à genoux 12
Qu'il tomba sur le front sans dire une prière ; 12
L'autre, grand et hardi, resta comme une pierre, 12
Et mourut tout debout dans son armure d'or ! 12
50 Agnès ferma les yeux croyant les voir encor. 12
Mais le vieillard gaiement relevant sa moustache, 12
« Il te faut un mari, dit-il, par saint Eustache ; 12
N'aimes-tu pas le fils du seigneur Rodriguez, 12
Carlos ? Oui, c'est un brave ». (Il vit rougir Agnès.) 12
55 « Juan, son frère aîné, n'a rien de mieux à faire. 12
Que, pour les biens du ciel, quitter ceux de la terre ; 12
Qu'il aille en Paradis et nous laisse en repos. 12
Homme qui porte un casque en vaut deux à chapeaux, 12
Quatre portant bonnet, douze portant perruque. » 12
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