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MUS_2/MUS91
Alfred de MUSSET
POÉSIES NOUVELLES
1836-1852
RÉPONSE A M. CHARLES NODIER
Connais-tu deux pestes femelles 8
Et jumelles, 3
Qu'un beau jour lira de l'enfer 8
Lucifer ? 3
5 L'une, au teint blême, au cœur de lièvre, 8
C'est la Fièvre ; 3
L'autre est l'Insomnie aux grands yeux 8
Ennuyeux. 3
Non pas cette fièvre amoureuse, 8
10 Trop heureuse, 3
Qui sait chiffonner l'oreiller 8
Sans bâiller ; 3
Non pas celte belle insomnie 8
Du génie, 3
15 Où Trilby vient, prêt à chanter, 8
T'écouter. 3
C'est la fièvre qui s'emmaillotte 8
Et grelotte 3
Sous un drap sale et trois coussins 8
20 Très-malsains. 3
L'autre, comme une huître qui bâille 8
Dans l'écaille, 3
Rêve ou rumine, ou fait des vers 8
De travers. 3
25 Voilà, depuis une semaine 8
Toute pleine, 3
L'aimable et gai duo que j'ai 8
Hébergé. 3
Que ce soit donc, si l'on m'accuse, 8
30 Mon excuse, 3
Pour n'avoir rien ni répondu 8
Ni pondu. 3
Ne me fais pas, je t'en conjure, 8
Cette injure 3
35 De supposer que j'ai faibli 8
Par oubli. 3
L'oubli, l'ennui, font, ce me semble, 8
Route ensemble, 3
Traînant, deux à deux, leurs pas lents, 8
40 Nonchalants. 3
Tout se ressent du mal qu'ils causent. 8
Mais ils n'osent 3
Approcher de toi seulement 8
Un moment. 3
45 Que ta voix, si jeune et si vieille, 8
Qui m'éveille, 3
Vient me délivrer à propos 8
Du repos ! 3
Ta Muse, ami, toute française, 8
50 Toute à l'aise, 3
Me rend la sœur de la santé, 8
La gaîté. 3
Elle rappelle à ma pensée 8
Délassée 3
55 Les beaux jours et les courts instants 8
Du bon temps ; 3
Lorsque, rassemblés sous ton aile 8
Paternelle, 3
Échappés de nos pensions. 8
60 Nous dansions ; 3
Gais comme l'oiseau sur la branche, 8
Le dimanche, 3
Nous rendions parfois matinal 8
L'Arsenal. 3
65 La tête coquette et fleurie ! 8
De Marie 3
Brillait comme un bluet mêlé 8
Dans le blé. 3
Tachés déjà par l'écritoire, 8
70 Sur l'ivoire 3
Ses doigts légers allaient sautant 8
Et chantant ; 3
Quelqu'un récitait quelque chose, 8
Vers ou prose, 3
75 Puis nous courions recommencer 8
A danser. 3
Chacun de nous, futur grand homme, 8
Ou tout comme, 3
Apprenait plus vite à l'aimer 8
80 Qu'à rimer. 3
Alors, dans la grande boutique 8
Romantique, 3
Chacun avait, maître ou garçon, 8
Sa chanson ; 3
85 Nous allions, brisant les pupitres 8
Et les vitres, 3
Et nous avions plume et grattoir 8
Au comptoir. 3
Hugo portait déjà dans l'âme 8
90 Notre-Dame, 3
El commençait à s'occuper 8
D'y grimper. 3
De Vigny chantait sur sa lyre 8
Ce beau sire 3
95 Qui mourut sans mettre à l'envers 8
Ses bas verts. 3
Antony battait avec Dante 8
Un andante ; 3
Émile ébauchait vile et tôt 8
100 Un presto. 3
Sainte-Beuve faisait dans l'ombre 8
Douce et sombre, 3
Pour un œil noir, un blanc bonnet, 8
Un sonnet. 3
105 El moi, de cet honneur insigne 8
Trop indigne, 3
Enfant par hasard adopté 8
Et gâté, 3
Je brochais des ballades, l'une 8
110 A la lune, 3
L'autre à deux yeux noirs et jaloux, 8
Andaloux. 3
Cher temps, plein de mélancolie, 8
De folie, 3
115 Dont il faut rendre à l'amitié 8
La moitié ! 3
Pourquoi, sur ces flots où s'élance 8
L'Espérance, 3
Ne voit-on que le Souvenir 8
120 Revenir ? 3
Ami, loi qu'a piqué l'abeille, 8
Ton cœur veille, 3
Et lu n'en saurais ni guérir 8
Ni mourir ; 3
125 Mais comment fais-tu donc, vieux maître, 8
Pour renaître ? 3
Car tes vers, en dépit du temps, 8
Ont vingt ans. 3
Si jamais ta fête qui penche 8
130 Devient blanche, 3
Ce sera comme l'amandier, 8
Cher Nodier. 3
Ce qui le blanchit n'est pas l'âge, 8
Ni l'orage ; 3
135 C'est la fraîche rosée en pleurs 8
Dans les fleurs. 3
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