Métrique en Ligne
MUS_2/MUS40
Alfred de MUSSET
POÉSIES NOUVELLES
1836-1852
LES NUITS
LA NUIT D'AOUT
LA MUSE
Depuis que le soleil, dans l'horizon immense, 12
A franchi le Cancer sur son axe enflammé, 12
Le bonheur m'a quittée, et j'attends en silence 12
L'heure où m'appellera mon ami bien-aimé. 12
5 Hélas ! depuis longtemps sa demeure est déserte. 12
Des beaux jours d'autrefois rien n'y semble vivant. 12
Seule, je viens encor, de mon voile couverte, 12
Poser mon front brûlant sur sa porte entr'ouverte, 12
Comme une veuve en pleurs au tombeau d'un enfant. 12
LE POÈTE
10 Salut à ma fidèle amie. 8
Salut, ma gloire et mon amour. 8
La meilleure et la plus chérie 8
Est celle qu'on trouve au retour. 8
L'opinion et l'avarice 8
15 Viennent un temps de m'emporter 8
Salut, ma mère et ma nourrice ! 8
Salut, salut, consolatrice ! 8
Ouvre tes bras, je viens chanter. 8
LA MUSE
Pourquoi, cœur altéré, cœur lassé d'espérance, 12
20 T'enfuis-tu si souvent pour revenir si tard ? 12
Que t'en vas-tu chercher, sinon quelque, hasard, 12
Et que rapportes-tu, sinon quelque souffrance ? 12
Que fais-tu loin de moi, quand j'attends jusqu'au jour ? 12
Tu suis un pâle éclair dans une nuit profonde. 12
25 Il ne te restera de tes plaisirs du monde 12
Qu'un impuissant mépris pour notre honnête amour. 12
Ton cabinet d'étude est vide quand j'arrive ; 12
Tandis qu'à ce balcon, inquiète et pensive, 12
Je regarde en rêvant les murs de ton jardin, 12
30 Tu te livres dans l'ombre à ton mauvais destin. 12
Quelque fière beauté te retient dans sa chaîne, 12
Et tu laisses mourir cette pauvre verveine 12
Dont les derniers rameaux, en des temps plus heureux. 12
Devaient être arrosés des larmes de tes yeux. 12
35 Cette triste verdure est mon vivant symbole, 12
Ami, de ton oubli nous mourrons toutes deux, 12
Et son parfum léger, comme l'oiseau qui vole, 12
Avec mon souvenir s'enfuira dans les cieux. 12
LE POÈTE
Quand j'ai passé par la prairie, 8
40 J'ai vu, ce soir, dans le sentier, 8
Une fleur tremblante et flétrie, 8
Une pâle fleur d'églantier. 8
Un bourgeon vert à côté d'elle 8
Se balançait sur l'arbrisseau ; 8
45 J'y vis poindre une fleur nouvelle ; 8
La plus jeune était la plus belle ; 8
L'homme est ainsi, toujours nouveau. 8
LA MUSE
Hélas ! toujours un homme, hélas ! toujours des larmes ! 12
Toujours les pieds poudreux et la sueur au front ! 12
50 Toujours d'affreux combats et de sanglantes armes ; 12
Le cœur a beau mentir, la blessure est au fond… 12
Hélas ! par tout pays, toujours la même vie : 12
Convoiter, regretter, prendre, et tendre la main, 12
Toujours mêmes acteurs et même comédie, 12
55 Et quoi qu'ait inventé l'humaine, hypocrisie, 12
Rien de vrai là-dessous que le squelette humain. 12
Hélas ! mon bien-aimé, vous n'êtes plus poète. 12
Rien ne réveille plus votre lyre muette ; 12
Vous vous noyez le cœur dans un rêve inconstant ; 12
60 El vous ne savez pas que l'amour de la femme 12
Change et dissipe en pleurs les trésors de votre âme, 12
Et que Dieu compte plus les larmes que le sang. 12
LE POÈTE
Quand j'ai traversé la vallée, 8
Un oiseau chantait sur son nid. 8
65 Ses petits, sa chère couvée, 8
Venaient de mourir dans la nuit. 8
Cependant il chantait l'aurore ; 8
O ma Muse, ne pleurez pas ! 8
A qui perd tout, Dieu reste encore, 8
70 Dieu là-haut, l'espoir ici-bas. 8
LA MUSE
Et que trouveras-tu, le jour où la misère 12
Te ramènera seul au paternel foyer ? 12
Quand tes tremblantes mains essuieront la poussière 12
De ce pauvre réduit que tu crois oublier — 12
75 De quel front viendras-tu, dans la propre demeure, 12
Chercher un peu de calme et l'hospitalité ? 12
Une voix sera là, pour crier à toute heure : 12
Qu'as-tu fait de ta vie et de ta liberté ? 12
Crois-tu donc qu'on oublie autant qu'on le souhaite ? 12
80 Crois-tu qu'en te cherchant tu le retrouveras ? 12
De ton cœur ou de toi lequel est le poète ? 12
C'est ton cœur, et ton cœur ne te répondra pas. 12
L'amour l'aura brisé ; les passions funestes 12
L'auront rendu de pierre au contact des méchants ; 12
85 Tu n'en sentiras plus que d'effroyables restes, 12
Qui remueront encor, comme ceux des serpents. 12
O ciel ! qui t'aidera ? que ferai-je moi-même, 12
Quand celui qui peut tout défendra que je t'aime, 12
Et quand mes ailes d'or, frémissant malgré moi, 12
90 M'emporteront à lui pour me sauver de toi ? 12
Pauvre enfant ! nos amours n'étaient pas menacées, 12
Quand dans les bois d'Auteuil, perdu dans tes pensées, 12
Sous les verts marronniers et les peupliers blancs, 12
Je l'agaçais le soir en détours nonchalants ; 12
95 Ah ! j'étais jeune alors et Nymphe, et les Dryades 12
Entr'ouvraient pour me voir l'écorce des bouleaux, 12
Et les pleurs qui coulaient durant nos promenades 12
Tombaient, purs comme l'or, dans le cristal des eaux. 12
Qu'as-tu fait, mon amant, des jours de ta jeunesse ? 12
100 Qui m'a cueilli mon fruit sur mon arbre enchanté ? 12
Hélas ! la joue en fleurs plaisait à la Déesse 12
Qui porte dans ses mains la force et la santé. 12
De tes yeux insensés les larmes l'ont pâlie ; 12
Ainsi que ta beauté tu perdras ta vertu. 12
105 Et moi qui t'aimerai comme une unique amie, 12
Quand les Dieux irrités m'ôteront ton génie, 12
Si je tombe des cieux, que me répondras-tu ? 12
LE POÈTE
Puisque l'oiseau des bois voltige et chante encore 12
Sur la branche où ses œufs sont brisés dans le nid ; 12
110 Puisque la fleur des champs entr'ouverte à l'aurore, 12
Voyant sur la pelouse une autre fleur éclore, 12
S'incline sans murmure et tombe avec la nuit ; 12
Puisqu'au fond des forêts, sous les toits de verdure, 12
On entend le bois mort craquer dans le sentier, 12
115 Et puisqu'en traversant l'immortelle nature, 12
L'homme n'a su trouver de science qui dure, 12
Que de marcher toujours, et toujours oublier ; 12
Puisque, jusqu'aux rochers, tout se change en poussière ; 12
Puisque tout meurt ce soir pour revivre demain ; 12
120 Puisque c'est un engrais que le meurtre et la guerre ; 12
Puisque sur une tombe on voit sortir de terre 12
Le brin d'herbe sacré qui nous donne le pain ; 12
O Muse ! que m'importe ou la mort ou la vie ? 12
J'aime, et je veux pâlir ; j'aime, et je veux souffrir ; 12
125 J'aime, et pour un baiser je donne mon génie ; 12
J'aime, et je veux sentir sur ma joue amaigrie 12
Ruisseler une source impossible à tarir. 12
J'aime, et je veux chanter la joie et la paresse, 12
Ma folle expérience et mes soucis d'un jour, 12
130 Et je veux raconter et répéter sans cesse 12
Qu'après avoir juré de vivre sans maîtresse, 12
J'ai fait serment de vivre et de mourir d'amour. 12
Dépouille devant tous l'orgueil qui te dévore, 12
Cœur gonflé d'amertume et qui t'es cru fermé. 12
135 Aime, et tu renaîtras ; fais-toi fleur, pour éclore ; 12
Après avoir souffert, il faut souffrir encore ; 12
Il faut aimer sans cesse, après avoir aimé. 12
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