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MUS_1/MUS24
Alfred de MUSSET
PREMIÈRES POÉSIES
1829-1835
À Julie
On me demande, par les rues, 8
Pourquoi je vais bayant aux grues, 8
Fumant mon cigare au soleil, 8
A quoi se passe ma jeunesse, 8
5 Et depuis trois ans de paresse 8
Ce qu'ont fait mes nuits sans sommeil. 8
Donne-moi tes lèvres, Julie ; 8
Les folles nuits qui t'ont pâlie 8
Ont séché leur corail luisant. 8
10 Parfume-les de ton haleine ; 8
Donne-les-moi, mon Africaine, 8
Tes belles lèvres de pur sang. 8
Mon imprimeur crie à tue-tête 8
Que sa machine est toujours prête, 8
15 Et que la mienne n'en peut mais. 8
D'honnêtes gens, qu'un club admire, 8
N'ont pas dédaigné de prédire 8
Que je n'en reviendrai jamais. 8
Julie, as-tu du vin d'Espagne ? 8
20 Hier, nous battions la campagne ; 8
Va donc voir s'il en reste encor. 8
Ta bouche est brûlante, Julie ; 8
Inventons donc quelque folie 8
Qui nous perde l'âme et le corps. 8
25 On dit que ma gourme me rentre, 8
Que je n'ai plus rien dans le ventre, 8
Que je suis vide à faire peur ; 8
Je crois, si j'en valais la peine, 8
Qu'on m'enverrait à Sainte-Hélène, 8
30 Avec un cancer dans le cœur. 8
Allons, Julie, il faut t'attendre 8
A me voir quelque jour en cendre, 8
Comme Hercule sur son rocher. 8
Puisque c'est par toi que j'expire, 8
35 Ouvre ta robe, Déjanire, 8
Que je monte sur mon bûcher. 8
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