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MUS_1/MUS23
Alfred de MUSSET
PREMIÈRES POÉSIES
1829-1835
À Juana
Ô ciel ! je vous revois, madame, — 8
De tous les amours de mon âme 8
Vous le plus tendre et le premier. 8
Vous souvient-il de notre histoire ? 8
5 Moi, j'en ai gardé la mémoire : — 8
C'était, je crois, l'été dernier. 8
Ah ! marquise, quand on y pense, 8
Ce temps qu'en folie on dépense, 8
Comme il nous échappe et nous fuit ! 8
10 Sais-tu bien, ma vieille maîtresse, 8
Qu'à l'hiver, sans qu'il y paraisse, 8
J'aurai vingt ans, et toi dix-huit ? 8
Eh bien ! m'amour, sans flatterie, 8
Si ma rose est un peu pâlie, 8
15 Elle a conservé sa beauté. 8
Enfant ! jamais tête espagnole 8
Ne fut si belle, ni si folle. — 8
Te souviens-tu de cet été ? 8
De nos soirs, de notre querelle ? 8
20 Tu me donnas, je me rappelle, 8
Ton collier d'or pour m'apaiser, — 8
Et pendant trois nuits, que je meure, 8
Je m'éveillai tous les quarts d'heure, 8
Pour le voir et pour le baiser ! 8
25 Et ta duègne, ô duègne damnée ! 8
Et la diabolique journée 8
Où tu pensas faire mourir, 8
Ô ma perle d'Andalousie, 8
Ton vieux mari de jalousie, 8
30 Et ton jeune amant de plaisir ! 8
Ah ! prenez-y garde, marquise, 8
Cet amour-là, quoi qu'on en dise, 8
Se retrouvera quelque jour. 8
Quand un cœur vous a contenue, 8
35 Juana, la place est devenue 8
Trop vaste pour un autre amour. 8
Mais que dis-je ? ainsi va le monde. 8
Comment lutterais-je avec l'onde 8
Dont les flots ne reculent pas ? 8
40 Ferme tes yeux, tes bras, ton âme ; 8
Adieu, ma vie, — adieu, madame, 8
Ainsi va le monde ici-bas. 8
Le temps emporte sur son aile 8
Et le printemps et l'hirondelle, 8
45 Et la vie et les jours perdus ; 8
Tout s'en va comme la fumée, 8
L'espérance et la renommée, 8
Et moi qui vous ai tant aimée, 8
Et toi qui ne t'en souviens plus ! 8
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