Métrique en Ligne
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Henri MURGER
Les Nuits d'hiver
1861
À UNE DAME INCONNUE
DEMANDE D'AUDIENCE
Madame, je n'ai pas l'honneur de vous connaître, 12
Mais supposez qu'on fait relâche à l'opéra, 12
Et qu'après son dîner, votre seigneur et maître 12
À son club est allé tailler le baccarat. 12
5 Si vous le permettez, — supposons qu'une dame, 12
Votre amie, auprès d'elle a retenu celui 12
Dont on parle tout bas quand on est femme à femme, 12
Celui qui vous nomme elle, et que vous nommez lui. 12
Vous voici toute seule au coin de l'âtre où pleure 12
10 Le lamentable vent d'un hiver pluvieux, 12
Et, regardant courir le pied léger de l'heure, 12
Déjà vous regrettez de ne pas être deux. 12
Tout Paris a la grippe et boit de la tisane ; 12
Votre griffon d'écosse est lui-même enrhumé ; 12
15 Les salons sont fermés, et le temps vous condamne 12
À la réclusion du boudoir parfumé. 12
Que ferez-vous ce soir ? Sur le clavier sonore 12
Allez-vous éveiller l'âme de Bellini ? 12
Ou ferez-vous rugir le cri fauve du More 12
20 Que Shakspeare a créé, pressentant Rossini ? 12
Mais votre érard, faussé par l'humide atmosphère, 12
Appelle en sons douteux les soins de l'accordeur. 12
Ne pouvant plus chanter, vous essaîrez de faire 12
Sur votre canevas naître encor une fleur. 12
25 Mais, si l'aiguille casse, ou, si dans votre laine 12
Vous retrouvez les jeux de la chatte ou du chien, 12
Sans être impatiente, êtes-vous bien certaine 12
De pouvoir renouer l'écheveau gordien ? 12
Ne pouvant plus broder, que ferez-vous, madame ? 12
30 J'en pourrais témoigner, la paresse a du bon ; 12
Mais le repos du corps, c'est le travail de l'âme, 12
Et la vôtre a besoin d'une distraction. 12
Si pour une heure ou deux vous vouliez le permettre 12
Je tiendrais compagnie à votre ennui naissant. 12
35 On peut me recevoir sans trop se compromettre, 12
Et ne m'a pas qui veut, vous soit dit en passant. 12
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