Métrique en Ligne
MUR_1/MUR19
Henri MURGER
Les Nuits d'hiver
1861
MARGUERITE
Elle s'appelait Marguerite, 8
Et comme celle à qui jadis 8
Faust allait offrir l'eau bénite, 8
On l'attendait au paradis. 8
5 C'était une humble et douce fille 8
Aimant son père et craignant Dieu 8
Dans plus d'une pauvre famille 8
On l'appelait l'ange du lieu. 8
Comme l'aurore matinale 8
10 Fraîche comme elle, s'éveillant 8
Dans son alcôve virginale, 8
Elle s'habillait en priant. 8
Pour unique et simple toilette, 8
Sans riche atour et sans miroir, 8
15 Elle ramenait sur sa tête, 8
En bandeaux plats, ses cheveux noirs. 8
Puis comme elle avait fait la veille, 8
Au joug du labeur se mettant, 8
Cigale en même temps qu'abeille, 8
20 Elle travaillait en chantant. 8
Mais le vieux refrain de romance 8
Qu'un vieux poëte avait chanté 8
Traversait dans son innocence, 8
Sans troubler sa limpidité. 8
25 Jusque vers sa quinzième année 8
Heureuse, elle vécut ainsi. 8
Qui donc peut l'avoir entraînée 8
Dans le chemin où la voici ? 8
Maintenant elle est descendue 8
30 Aux bas lieux de l'impureté ; 8
Son alcôve ouvre sur la rue, 8
Et son nom est numéroté. 8
Elle parle un langage étrange, 8
Met du carmin sale, et du blanc 8
35 À son front pur que son bon ange 8
N'osait effleurer qu'en tremblant. 8
Elle s'appelait Marguerite, 8
Et comme celle à qui jadis 8
Faust allait offrir l'eau bénite, 8
40 On l'attendait au paradis. 8
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