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Henri MURGER
Les Nuits d'hiver
1861
LE CHIEN DU BRACONNIER
À AMÉDÉE GUYOT
Pour fortune sur cette terre, 8
Où Dieu m'a fait naître sans bien, 8
J'ai le fusil de feu mon père, 8
Pour ami je n'ai que mon chien ; 8
5 Je l'ai choisi dans la portée, 8
Comme il venait d'être mis bas, 8
Et pour lui faire la pâtée 8
Souvent j'ai rogné mon repas. 8
Au marais, en plaine, en forêt, 8
10 Bon à courre et ferme à l'arrêt, 8
Il quête, haut le nez dans la brise ; 8
Quand le coup part, la pièce est prise 8
Il est aussi bon qu'il est beau, 8
Mon Ramoneau. 4
15 C'est Ramoneau que je l'appelle, 8
Et pour le vendre on m'offrirait 8
De l'or trois fois plein son écuelle, 8
Que je dirais : « non, » sans regret ; 8
Car depuis vingt ans que je chasse, 8
20 Par pluie, ou vent, ou plein soleil, 8
J'ai dressé bien des chiens de race 8
Sans jamais trouver son pareil. 8
Griffon pur à tête superbe, 8
Où dans le poil le regard luit 8
25 Tel que le ver luisant sous l'herbe, 8
Il est tout noir comme la nuit ; 8
Et les limiers de vénerie 8
Qu'on estampille sur le flanc 8
D'un chiffre ou bien d'une armoirie 8
30 Ne sont pas nés d'un meilleur sang. 8
C'est un rude et madré compère : 8
Quand nous maraudons dans un bois, 8
S'il entend le propriétaire, 8
Il me l'annonce par la voix ; 8
35 Et pour ne point donner l'alarme 8
Lorsqu'il évente un fin gibier, 8
Il est prudent comme un gendarme 8
Qui veut surprendre un braconnier. 8
Quand il a bien fourni sa tâche, 8
40 Et qu'au foyer, brisé, rendu, 8
Secouant sa queue en panache, 8
Il sommeille, long-étendu, 8
Croyant toujours mener le lièvre, 8
Il aboie intérieurement 8
45 Avec des mouvements de fièvre, 8
De petits sursauts en dormant. 8
Ses dents ne lui marquent plus d'âge ; 8
Aussi vieux que le temps jadis, 8
La vieillesse a sur son pelage 8
50 Imprimé des chevrons blanchis ; 8
Mais il a toujours bonne gueule, 8
Et, lorsque revient le printemps, 8
Autour de sa vieille épagneule 8
Il rôde encor de temps en temps. 8
55 Homme ou chien, ici-bas tout passe : 8
Ramoneau n'a plus le nez fin, 8
Son œil s'éteint, sa voix se casse ; 8
Mais les vrais chiens n'ont pas de fin… 8
Dieu là-haut leur garde un bon gîte, 8
60 Frais en été, chaud dans l'hiver, 8
Au paradis des chiens d'élite, 8
Dans la meute de saint Hubert. 8
Au marais, en plaine, en forêt, 8
Bon à courre et ferme à l'arrêt, 8
65 Il quête, haut le nez dans la brise ; 8
Quand le coup part, la pièce est prise. 8
Il est aussi bon qu'il est beau, 8
Mon Ramoneau. 4
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