Métrique en Ligne
MUR_1/MUR13
Henri MURGER
Les Nuits d'hiver
1861
LE DIMANCHE MATIN
IMITÉ D'HÉBEL
Le samedi dit au dimanche : 8
« Tout le village est endormi ; 8
L'aiguille vers minuit se penche, 8
C'est maintenant ton tour, ami. 8
5 Moi, je suis las de ma journée, 8
Je veux aller dormir aussi ; 8
Viens vite, ton heure est sonnée. » 8
Le dimanche dit : « me voici ! » 8
Il s'éveille en bâillant derrière 8
10 La nuit aux étincelles d'or, 8
Et frotte des mains sa paupière, 8
Et s'habille en bâillant encor. 8
Puis, quand il a fait sa toilette, 8
Pour aller lui donner l'éveil, 8
15 Il frappe à l'huis de la chambrette 8
Où dort son ami le soleil. 8
« De votre alcôve orientale 8
Sortez, dit-il, grand paresseux ; 8
Stella, votre sœur matinale, 8
20 À l'horizon ferme les yeux. 8
Pour vous saluer, l'alouette 8
Chante déjà sur les sillons ; 8
Venez, venez, c'est jour de fête, 8
Choisissez vos plus beaux rayons ! » 8
25 Le dimanche sur la montagne 8
Monte, et regarde autour de lui : 8
« Ils dorment tous dans la campagne, 8
Dit-il, ne faisons pas de bruit. » 8
Et doucement vers le village 8
30 Il redescend à petits pas 8
Et dit au coq : « par ton ramage, 8
Mon ami, ne me trahis pas. » 8
Après la bonne nuit passée, 8
Pour vous accueillir au réveil 8
35 On voit sourire, à la croisée, 8
Le dimanche assis au soleil. 8
Et si quelque enfant paresseuse 8
Rêve un peu tard sur l'oreiller, 8
Il lui laisse finir, heureuse, 8
40 Son rêve avant de l'éveiller. 8
C'est lui, le voilà, le dimanche, 8
Avec le mois de mai nouveau ; 8
L'amandier met sa robe blanche, 8
Le bleu de ciel azure l'eau. 8
45 Les fleurs du jardin sont écloses, 8
On croirait voir le paradis ; 8
La violette parle aux roses, 8
Le chêne orgueilleux parle au buis. 8
Au bord du nid, battant des ailes, 8
50 L'oiseau chante en se réveillant, 8
Et dit bonjour aux hirondelles 8
Qui reviennent de l'Orient. 8
Dans son bel habit du dimanche 8
Le chardonneret marche fier, 8
55 Et vole aussi de branche en branche, 8
Et jette sa chanson dans l'air. 8
Il apporte dans les familles 8
À chacun ses petits cadeaux : 8
Des rubans pour les jeunes filles, 8
60 Et pour les enfants, des gâteaux. 8
Il ne fait que chanter et rire, 8
Il débouche les vieux flacons, 8
Et, le soir, de sa poche il tire 8
Les flûtes et les violons. 8
65 Voyez combien l'on est tranquille 8
Dans tout le village aujourd'hui ; 8
Le moulin à la roue agile 8
Et l'enclume ont cessé leur bruit. 8
Les bœufs ruminent à la crèche, 8
70 Libres du joug et du brancard, 8
Et la charrue avec la bêche 8
Se reposent sous le hangar. 8
Tout le monde paraît à l'aise, 8
On s'aborde d'un air content. 8
75 « Comment va ton père, Thérèse ? 8
— Vilhem, comment va votre enfant ? 8
— Bon temps, voisin, pour la futaille ! 8
— Voisin, bon temps pour le grenier ! » 8
Personne aujourd'hui ne travaille, 8
80 Excepté le ménétrier. 8
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