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MON_1/MON176
Robert de Montesquiou
LES HORTENSIAS BLEUS
1896
IV
CHAMBRE OBSCURE
V
ITE
CLXXV
REQUIESCAT IN LUCE
« Car j'écris (je parle d'un auteur
qui se respecte) non pour les lecteurs
d'aujourd'hui ; mais pour les lecteurs qui
pourront se présenter tant que la langue vivra.
FLAUBERT.
On aura dit du mal de moi ; 8
J'en ai fait moins — et plus encore. 8
Qu'importe, si quelqu'un eut foi 8
Dans le futur de mon aurore ? 8
5 J'accomplis un travail serein 8
En abeille mystérieuse, 8
Qui, voulant faire un miel d'airain, 8
Est sérieuse, et sourieuse. 8
On en dit quelque bien moins haut ; 8
10 Mais — ceci fut ma récompense : 8
Le bien n'est pas celui qu'il faut ; 8
Le mal n'est pas celui qu'on pense. 8
Que l'avenir me soit vermeil 8
De quelques précieuses laudes, 8
15 Je verrai venir ce Soleil 8
Au travers de ces émeraudes… 8
Espérance au vert non pareil ! 8
Dire du mal de moi, c'est surérogatoire ; 12
D'autres s'en chargeront ! 6
20 Mais de quelque bien fait, plus subtil que notoire, 12
Est-ce qu'ils parleront ? 6
Et pourtant j'eusse aimé que l'on m'aimât… peut-être 12
L'avais-je mérité… 6
Mais qui donc se retourne, en somme, vers le prêtre 12
25 D'un oracle abrité ? 6
Pourtant l'heure viendra, car toujours elle sonne 12
A qui fit son devoir ; 6
De ceux qui m'ont connu restera-t-il personne 12
Pour l'entendre, et la voir ? 6
30 La répercussion des mots au fond des âmes 12
Vraiment rien n'est plus beau ; 6
Quel autre embaumement peut valoir ces dictames, 12
Aux morts, dans le tombeau ? 6
Si mes vers m'attiraient des tendresses posthumes, 12
35 De frères et de fils, 6
Qui les admireraient comme de beaux costumes 12
Dont on compte les fils ; 6
Des frères, des élus, des servants, des apôtres, 12
Des amantes, des sœurs, 6
40 Désireux d'attester, à la clarté des nôtres, 12
Leurs forces, leurs douceurs. 6
S'ils disaient : « C'était Lui !… » me dédiant leurs flammes 12
Et m'offrant leur émoi… 6
Du fond de l'Infini, me penchant sur leurs âmes. 12
45 Je dirai : « C'était Moi 6
Ceux que mon vers fera rêver, 8
Mon vers aux facettes multiples, 8
M'aimeront, et sauront sauver 8
Mon souvenir, amis, disciples. 8
50 Ils diront : « Il était ainsi… » 8
Et contempleront les images 8
Où quelque chose fut saisi 8
Du sourire de mes orages. 8
Mes poèmes leur seront chers, 8
55 Comme des parfums dans une urne ;. 8
Sur ces bleus Hortensias clairs, 8
Mes Chauves-souris , chœur nocturne. 8
Alors seulement aura lieu 8
La diversité de mon geste, 8
60 Qui, s'auréolant d'un doux feu, 8
Se déroulera comme un ceste. 8
Mon âme aromatisera 8
De tendres âmes pour moi faites, 8
Auxquelles mon art tissera 8
65 L'art prédestiné de ses fêtes. 8
Et mon espoir déjà jouit, 8
Dans la récompense qu'il pèse, 8
De cet amour, qui l'éblouit, 8
Sur ces fronts à venir, qu'il baise ! 8
70 Car c'est le mystère 5
Du seuil de la Terre 5
Que ce réveil bleu 5
De notre œuvre lente 5
Dans une âme ardente 5
75 Qui couve son feu : 5
Dans l'amour pensive 5
Et compréhensive 5
Qui goûte à nos miels, 5
Et qui doit, ravie, 5
80 Consumer sa vie 5
Devant nos autels. 5
Éclosion pure, 5
Transmission sûre, 5
Testament sacré 5
85 Sans verbe et sans acte, 5
Et, par le seul pacte, 5
Du seul vers nacré ; 5
Du vers qui s'achève 5
En nous, et se lève 5
90 Sur ces fronts élus, 5
Quand notre dépouille, 5
Au sol qui la souille, 5
Rien n'est déjà plus. 5
Palingénésie 5
95 De la Poésie 5
En un autre esprit, 5
Qui la ressuscite, 5
Et,qu'elle visite, 5
Et qui lui sourit. 5
100 Tendre Apothéose 5
Qui métamorphose 5
En félicité 5
La douleur passée, 5
Déjà nuancée 5
105 D'Immortalité ! 5
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