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MOLIÈRE
(Jean-Baptiste de Poquelin)
POÉSIES DIVERSES
1663-1672
A MONSIEUR
DE LA MOTHE LE VAYER
SUR LA MORT DE MONSIEUR SON FILS
Aux larmes, Le Vayer, laisse les yeux ouverts ; 12
Ton deuil est raisonnable, encor qu'il soit extrême ; 12
Et, lors que pour toujours on perd ce que tu perds, 12
La Sagesse, croy moy, peut pleurer elle-mesme. 12
5 On se propose à tort cent préceptes divers 12
Pour vouloir d'un œil sec voir mourir ce qu'on ayme ; 12
L'effort en est barbare aux yeux de l'Univers, 12
Et c'est brutalité plus que vertu suprême. 12
On sçait bien que les pleurs ne ramèneront pas 12
10 Ce cher Fils, que t'enlève un impréveu trépas, 12
Mais la perte par là n'en est pas moins cruelle ; 12
Ses vertus d'un chacun le faisoient révérer ; 12
Il avoit le cœur grand, l'esprit beau, l'âme belle, 12
Et ce sont des sujets à tousjours le pleurer. 12
Vous voyez bien, Monsieur, que je m'écarte fort du chemin qu'on suit d'ordinaire en pareille rencontre, et que le Sonnet que je vous envoyé, n'est rien moins qu'une consolation ; mais fay crû qu'il falloit en user de la sorte avec vous, et que c'est consoler un Philosophe que de luy justifier ses larmes et mettre sa douleur en liberté. Si je n'ay pas trouvé d'assez fortes raisons pour affranchir vostre tendresse des sévères leçons de la Philosophie et pour vous obliger à pleurer sans contrainte, il en faut accuser le peu d'éloquence d'un homme qui ne sçauroit persuader ce qu'il sçait si bien faire.
MOLIÈRE.
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