Métrique en Ligne
MND_1/MND6
Louis MÉNARD
Poëmes
1855
PYGMALION
Quand il eut achevé sa blanche Galatée 12
Que nul regard humain après lui ne verra, 12
Pygmalion, rêveur, à genoux adora 12
Sa pensée immortelle en marbre pur sculptée. 12
5 Car du corps de la nymphe, avec l'aide des dieux, 12
Il avait fait tomber l'enveloppe de marbre, 12
Pareil au bûcheron qui voit, en brisant l'arbre, 12
La blanche Hamadryade apparaître à ses yeux. 12
Et, de ce corps divin parcourant les merveilles, 12
10 Il évoque à la fois l'ombre de bien des jours, 12
Et son œil, à travers ces onduleux contours, 12
Retrouve avec amour chacune de ses veilles. 12
Alors l'irrésistible attrait de la beauté 12
Des flammes du désir embrase sa poitrine, 12
15 Et, tout rempli d'amour pour son œuvre divine, 12
Il invoque en ces mots la blonde Aphrodité : 12
« Reine de la beauté, déesse du sourire ! 12
Toi par qui tout se meut et s'enchaîne et s'attire, 12
Des gouffres de la mer aux profondeurs des cieux ; 12
20 Toi qui donnes la vie aux formes idéales 12
Et les rêves d'amour aux âmes virginales, 12
O mère ! ô volupté des hommes et des dieux ! 12
Écoute ma prière, ô fille de l'écume ! 12
Et devant ton autel où le pur encens fume 12
25 J'irai me prosterner ; je l'ornerai de fleurs, 12
J'y sculpterai ton char traîné par les colombes. 12
A Zeus la foudre, à Zeus le sang des hécatombes, 12
Zeus règne sur le ciel : tu règnes sur les cœurs. 12
J'ai cherché l'infini dans les formes sacrées, 12
30 Et, répandant mon âme en courbes inspirées, 12
Dans le marbre assoupli j'ai voulu retenir 12
Une image du ciel en rêve poursuivie ; 12
Hais, sans toi, cette fleur à l'Olympe ravie 12
Aux baisers du soleil ne peut s'épanouir. 12
35 O déesse ! elle est là, plus belle que mon rêve ! 12
Dans son sein palpitant que le désir soulève 12
Allume l'étincelle, et répands à la fois 12
Tous les trésors d'amour cachés dans ta ceinture ; 12
Secoue autour de toi l'or de ta chevelure, 12
40 Donne au marbre glacé la pensée et la voix ! » 12
Il dit ; et, couronné suivant l'usage antique, 12
Il fait couler le lait sur l'autel domestique ; 12
L'offrande se consume, et soudain les échos 12
Sur un mode inconnu répétèrent ces mots : 12
45 « ô toi que j'ai conduit par d'austères études 12
À l'inspiration, fille des solitudes ! 12
Refoule ta prière et tes vœux dans ton sein. 12
L'éternelle beauté se dérobe au vulgaire ; 12
Elle n'ouvre son sanctuaire 8
50 Qu'au seul prêtre de l'art, vierge d'amour humain. 12
Des secrets de l'Olympe interprète fidèle, 12
Est-ce donc pour toi seul qu'un Dieu te les révèle ? 12
Et faut-il que l'Idée aille s'ensevelir 12
Loin du temple sacré d'où ton amour l'exile, 12
55 Au fond d'une prison d'argile, 8
Et suive le destin de ce qui doit périr ? 12
Calme et fort, à l'abri des passions humaines, 12
Suis ta route au milieu des régions sereines 12
Où l'art divin conduit les cœurs religieux ; 12
60 Car nul terrestre amour ne vaut le sacrifice 12
De cette force créatrice 8
Que l'artiste inspiré partage avec les dieux. 12
Cette ivresse éphémère à l'art sacrifiée, 12
Crois-en la voix des dieux, sera vite oubliée 12
65 Pour le peuple idéal dont tu seras le roi. 12
Tu traduiras au monde, en poëmes de pierre, 12
Tes rêves de ciel, et la terre 8
Parmi les noms des dieux fera place pour toi. » 12
Quand de la voix divine expira l'harmonie, 12
70 Debout devant le trépied d'or, 8
L'artiste l'écoulait encor, 8
Et rêvait, l'œil baissé, maudissant son génie. 12
Il interrogea l'avenir, 8
Un sanglot souleva sa poitrine oppressée ; 12
75 Mais sans doute les dieux lurent dans sa pensée 12
Et pardonnèrent ce soupir. 8
Car, tandis qu'il restait pensif, et sans prière, 12
Méditant l'oracle des dieux, 8
Une main invisible aux yeux 8
80 Fit circuler la vie aux veines de la pierre. 12
Comme au sortir d'un lourd sommeil, 8
Galatée à son front souleva sa main pâle ; 12
Et le sang nuança des reflets de l'opale 12
Son corps diaphane et vermeil. 8
85 La vierge en souriant s'éveille ; sa paupière 12
Se relève languissamment, 8
Et son regard, de son amant 8
Rencontre le regard en voyant la lumière. 12
Et lui, palpitant et sans voix, 8
90 Vers ce sein virginal que la pudeur colore, 12
Se penche, et d'un premier baiser y fait éclore 12
L'âme et l'amour tout à la fois. 8
La voix qui l'inspirait ne se fit plus entendre ; 12
En vain il invoqua les dieux : 8
95 Dans son cœur, enchaîné loin d'eux, 8
Le souffle créateur refusa de descendre. 12
Mais qui peut dire si l'amour 8
Ne paya pas l'oubli promis à sa mémoire ? 12
Qui sait si cette froide éternité de gloire 12
100 Vaut ce bonheur qui dure un jour ? 8
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