Métrique en Ligne
MLV_1/MLV9
Charles MILLEVOYE
POÉSIES
1801-1814
ÉLÉGIES
LIVRE PREMIER
LE BOIS DÉTRUIT
Nymphes, pleurez ! pleurez : l'antique bois 10
De son enceinte a perdu le mystère. 10
Pleurez, Amours ! le chêne solitaire 10
Vous a voilés pour la dernière fois. 10
5 Je n'entends plus sous les vertes allées 10
Des passereaux les joyeuses volées. 10
De ce séjour hôtes charmants et doux, 10
Est-il aussi des proscrits parmi vous ? 10
Le voyageur, trompé dans son attente, 10
10 Redouble en vain sa marche haletante, 10
Implore en vain contre les feux du jour 10
L'ombrage épais, disparu sans retour. 10
La jeune amante, à qui ce lieu retrace 10
Le souvenir de l'amant trop aimé, 10
15 Cherche de l'œil l'asile accoutumé, 10
Ne le voit plus, se lait, soupire, et passe. 10
Malheur à toi, destructeur inhumain ! 10
D'un dieu vengeur sur toi pèse la main. 10
Il est un dieu qui préside aux campagnes, 10
20 Dieu des coteaux, des bois et des vergers, 10
Il règne, assis sur les hautes montagnes, 10
Et ne reçoit que les vœux des bergers, 10
Que les présents de leurs douces compagnes. 10
A son signal, d'aimables messagers, 10
25 Prenant l'essor, vont couvrir de leur aile 10
La fleur naissante ou la lige nouvelle. 10
A la clarté des célestes flambeaux, 10
Il veille au loin. Familles des oiseaux, 10
Il recommande aux brises du bocage 10
30 De balancer vos paisibles berceaux 10
Dans la fraîcheur du mobile feuillage. 10
Il ne veut pas que le froid aquilon 10
Avant le temps jaunisse les fougères ; 10
Il ne veut pas que les lis du vallon 10
35 Tombent foulés sous le pied des bergères. 10
Ce même dieu doit te punir un jour : 10
Il remettra sa vengeance à l'Amour ; 10
Et le zéphyr, exilé du feuillage, 10
De la beauté dont ton cœur a fait choix 10
40 Emportera la promesse volage, 10
Comme son souffle emportait autrefois 10
La feuille errante au sein profond des bois 10
Dont ta fureur a profané l'ombrage. 10
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