Métrique en Ligne
MLV_1/MLV33
Charles MILLEVOYE
POÉSIES
1801-1814
CHANTS ÉLÉGIAQUES
LE PHÉNIX
Sous les pas du chameau les sables de Libye 12
En poudreux tourbillons s'élèvent jusqu'au ciel : 12
Les peuples sont venus ; car l'oiseau d'Arabie 12
S'élance, après dix jours, du tombeau paternel. 12
5 Avant que le soleil, vaste flambeau du monde, 12
Atteigne, plus ardent, son zénith enflammé, 12
Le beau Phénix, éclos de la cendre féconde, 12
Ira porter son père au bûcher parfumé. 12
Le temple du Soleil découvre son portique ; 12
10 Et l'Arabe en ces mots commence le cantique : 12
« Phénix, amour du ciel, écoute nos accents ; 12
Phénix, amour du ciel, porte-lui notre encens. 12
» Apparais, noble oiseau, père et fils de toi-même ! 12
Montre-nous de ton front l'étoile diadème, 12
15 Ton cou doré, ton bec d'émeraude et d'azur, 12
Ton aile où, diaprant l'albâtre le plus pur, 12
Le brillant incarnat nuance ton plumage, 12
De la pourpre d'Anir éblouissante image. 12
Que le rapide éclair s'échappe de les yeux ; 12
20 Qu'il brille, ce regard qui, des champs du tonnerre, 12
Traverse en un instant l'immensité des cieux, 12
Et voit ramper l'insecte aux bornes de la terre. 12
» Phénix, amour du ciel, écoute nos accents ; 12
Phénix, amour du ciel, porte-lui notre encens. 12
25 » De tes ans merveilleux l'étonnant témoignage 12
Par la voix des vieillards fut transmis d'âge en âge. 12
Cinq fois l'astre pompeux qui dispense le jour 12
De ta centième année éclaira le retour : 12
Beau Phénix ! ah ! dis-nous quel jour te vit éclore. 12
30 Es-tu né d'un rayon de la vermeille Aurore ? 12
Des dieux le souffle pur a-t-il, du haut des airs, 12
Semé ton germe heureux au sein de nos déserts ; 12
Ou, quand régnaient au loin les ténèbres profondes, 12
Reposais-tu déjà dans le berceau des mondes ? 12
35 » Phénix, amour du ciel, écoute nos accents ; 12
Phénix, amour du ciel, porte-lui notre encens.» 12
Depuis l'heure où ton vol tranquille et solitaire 12
Se balance au milieu des globes éclatants, 12
Oh ! combien de mortels ont passé sur la terre, 12
40 Nomades engloutis dans les déserts du temps ! 12
Las d'errer sans espoir, caravane oubliée, 12
En des sables mouvants sans ruisseaux et sans fleurs, 12
Ils ont enfui trouvé le terme des douleurs, 12
Et leur tente d'un jour pour jamais s'est pliée. 12
45 » Phénix, amour du ciel, écoute nos accents ; 12
Phénix, amour du ciel, porte-lui notre encens. 12
» Recommande au soleil les trésors de nos plaines : 12
Qu'il mûrisse la datte et ses sucs nourriciers, 12
Des troupeaux de Cédar épaississe les laines, 12
50 Donne aux chameaux la force et l'audace aux coursiers, 12
Et détourne des vents les mortelles haleines ; 12
Qu'à l'approche du soir il dirige vers nous 12
Le voyageur errant aux plages étrangères ; 12
Qu'il colore au matin de ses feux les plus doux 12
55 Le berceau de nos fils, la tombe de nos pères ! » 12
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