Métrique en Ligne
MLV_1/MLV31
Charles MILLEVOYE
POÉSIES
1801-1814
CHANTS ÉLÉGIAQUES
L'ARABE
AU TOMBEAU DE SON COURSIER
Ce noble ami, plus léger que les vents, 10
Il dort couché sous les sables mouvants. 10
O voyageur ! partage ma tristesse ; 10
Mêle tes cris à mes cris superflus. 10
5 Il est tombé, le roi de la vitesse ! 10
L'air des combats ne le réveille plus. 10
Il est tombé dans l'éclat de sa course : 10
Le trait fatal a tremblé sur son flanc, 10
Et les flots noirs de son généreux sang 10
10 Ont altéré le cristal de la source. 10
Ce noble ami, plus léger que les vents, 10
Il dort couché sous les sables mouvants. 10
Du meurtrier j'ai puni l'insolence ; 10
Sa tête horrible aussitôt a roulé : 10
15 J'ai de son sang abreuvé celte lance, 10
Et sous mes pieds je l'ai longtemps foulé. 10
Puis, contemplant mon coursier sans haleine, 10
Morne et pensif, je l'appelai trois fois ; 10
En vain, hélas !… il fut sourd à ma voix ; 10
20 Et j'élevai sa tombe dans la plaine. 10
Ce noble ami, plus léger que les vents, 10
Il dort couché sous les sables mouvants. 10
Depuis ce jour, tourment de ma mémoire, 10
Nul doux soleil sur ma tète n'a lui : 10
25 Mort au plaisir, insensible à la gloire, 10
Dans le désert je traîne un long ennui. 10
Cette Arabie, autrefois tant aimée, 10
N'est plus pour moi qu'un immense tombeau ; 10
On me voit fuir le sentier du chameau, 10
30 L'arbre d'encens et la plaine embaumée. 10
Ce noble ami, plus léger que les vents, 10
Il dort couché sous les sables mouvants. 10
Quand du midi le rayon nous dévore, 10
Il me guidait vers l'arbre hospitalier ; 10
35 A mes côtés il combattait le More, 10
Et sa poitrine était mon bouclier. 10
De mes travaux compagnon intrépide, 10
Fier, et debout dès le réveil du jour, 10
Au rendez-vous et de guerre et d'amour 10
40 Tu m'emportais comme l'éclair rapide. 10
Mais, noble ami, plus léger que les vents, 10
Tu dors couché sous les sables mouvants. 10
Tu vis souvent cette jeune Azéide, 10
Trésor d'amour, miracle de beauté ; 10
45 Tu fus vanté de sa bouche perfide ; 10
Ton cou nerveux de sa main fut flatté. 10
Moins douce était la timide gazelle ; 10
Des verts palmiers elle avait la fraîcheur… 10
Un beau Persan me déroba son cœur ; 10
50 Elle partit !… Tu me restas fidèle. 10
Mais, noble ami, plus léger que les vents, 10
Tu dors couché sous les sables mouvants. 10
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