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MLV_1/MLV30
Charles MILLEVOYE
POÉSIES
1801-1814
CHANTS ÉLÉGIAQUES
DAVID
PLEURANT SAÜL ET JONATHAS
Campagnes d'Israël ! terre délicieuse, 12
Des regards du Seigneur si longtemps orgueilleuse ! 12
Attristez-vous, pleurez Saül et Jonathas. 12
Gelboé ! couvre-toi des ombres du trépas. 12
5 Puisse pour toi le ciel, avare de rosées, 12
Ne rafraîchir jamais les cimes embrasées ! 12
De Saül, de son fils garde le souvenir, 12
Et raconte leur chute aux siècles à venir. 12
Harpe fidèle, ô toi dont les sons prophétiques 12
10 Tempéraient de Saül les accès frénétiques, 12
Rappelle-moi ce jour de trouble et de douleur 12
Où l'altier Philistin trompa notre valeur ; 12
Où, dérobée aux vœux de la sainte vallée, 12
Du Dieu des nations l'arche fut exilée ; 12
15 Jour fatal, où Saül, en son farouche ennui, 12
Vit l'esprit du Très-Haut se retirer de lui. 12
Il alla consulter l'horrible pythonisse. 12
Évoqué du tombeau par un noir maléfice, 12
Samuel apparut, et de la même voix 12
20 Qui sur le trône assis faisait pâlir les rois : 12
« Tremble, tremble, ô Saül ! ton dernier jour se lève ; 12
Le glaive doit frapper qui régna par le glaive. 12
Dieu s'indigne du meurtre et de la trahison : 12
Malheur à toi ! malheur à toute ta maison ! » 12
25 Tandis qu'épouvanté de la voix du prophète, 12
A l'exil, à la mort il dévouait ma tête, 12
Ce Dieu qui sur le Nil, de son bras paternel, 12
Protégea le berceau du fils de Jocabel ; 12
Ce Dieu qui, m'inspirant une audace intrépide, 12
30 Fit tomber Goliath sous ma fronde rapide, 12
Daignait me réserver pour ses vastes desseins, 12
Et détournait de moi le fer des assassins. 12
Mais Saül, même injuste, était encor mon père. 12
Souvent avec sa fille, épouse aimable et chère, 12
35 J'allais me prosterner au tombeau de Rachel. 12
Le chêne du Thabor et les monts de Bethel 12
M'entendirent souvent, durant la nuit entière, 12
Élever jusqu'aux cieux ma fervente prière ; 12
Hélas ! et le soleil au milieu de son cours 12
40 Me retrouvait encore ; et je priais toujours. 12
Cependant je partis, et, d'une marche lente, 12
Traversai de Pharan l'immensité brûlante, 12
Ëphraïm et Silo, Séir et Bethzamé. 12
Tantôt pâle, abattu, par la soif consumé, 12
45 Je me traînais, la nuit, sur des sables stériles, 12
Aux tigres du désert disputant leurs asiles ; 12
Tantôt, assis au bord des torrents irrités, 12
Je comparais ma vie à leurs flots agités. 12
Oh ! que n'ai-je perdu la lumière céleste 12
50 Avant que Jonathas, percé du coup funeste, 12
Tombât comme la palme atteinte dans sa fleur ! 12
Jonathas, seul ami qui fût selon mon cœur, 12
Des vierges d'Israël ta mort flétrit les charmes ; 12
La maison de Saül est la maison des larmes ; 12
55 Et moi, comme Rachel, traînant au loin mes pas, 12
J'ai dit : « Ils ne sont plus, ne me consolez pas. » 12
Peuple cher à mon cœur, qu'un long regret consume, 12
De vos honneurs cruels épargnez l'amertume. 12
Il est d'autres devoirs : que dans tout Israël, 12
60 Par des gémissements, par un deuil solennel, 12
La désolation soit neuf jours signalée, 12
Et durant ces neuf jours l'arche sainte voilée. 12
Vos princes ont vécu ; venez, et, l'œil en pleurs, 12
A leur tombe récente apportons nos douleurs. 12
65 De ta couronne auguste Israël me décore, 12
O Saül ! de ton sang elle est fumante encore. 12
A ton fils étaient dus ce sceptre et ce bandeau ; 12
Mais il n'est plus de rois dans la nuit du tombeau. 12
Héritage fatal ! douloureux diadème 12
70 Qu'autrefois dans Rama Dieu me légua lui-même ! 12
Fallait-il que David te payât d'un tel prix ?… 12
Que n'habité-je encor la terre des proscrits ! 12
Campagnes d'Israël ! terre délicieuse, 12
Des regards du Seigneur si longtemps orgueilleuse ! 12
75 Attristez-vous, pleurez Saül et Jonathas. 12
Gelboé ! couvre-toi des ombres du trépas. 12
Puisse pour toi le ciel, avare de rosées, 12
Ne rafraîchir jamais tes cimes embrasées ! 12
De Saül, de son fils, garde le souvenir, 12
80 Et raconte leur chute aux siècles à venir. 12
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