Métrique en Ligne
MLV_1/MLV3
Charles MILLEVOYE
POÉSIES
1801-1814
ÉLÉGIES
LIVRE PREMIER
LA CHUTE DES FEUILLES
TROISIÈME VERSION
De la dépouille de nos bois 8
L'automne avait jonché la terre, 8
Et dans le vallon solitaire 8
Le rossignol était sans voix. 8
5 Triste, et mourant à son aurore, 8
Un jeune homme, seul, à pas lents, 8
Parcourait une fois encore 8
Le bois cher à ses premiers ans : 8
« Bois que j'aime, adieu je succombe. 8
10 Ton deuil m'avertit de mon sort, 8
Et dans chaque feuille qui tombe 8
Je vois un présage de mort. 8
Fatal oracle d'Épidaure, 8
Tu m'as dit : « Les feuilles des bois 8
15 » A les yeux jauniront encore ; 8
» El c'est pour la dernière fois. 8
» La nuit du trépas t'environne ; 8
» Plus pâle qu'une fleur d'automne, 8
» Tu t'inclines vers le tombeau. 8
20 » Ta jeunesse sera flétrie 8
» Avant l'herbe de la prairie, 8
» Avant le pampre du coteau. » 8
Et je meurs ! De la vie à peine 8
J'avais compté quelques instants, 8
25 Et j'ai vu comme une ombre vaine 8
S'évanouir mon beau printemps. 8
Tombe, tombe, feuille éphémère ! 8
Et, couvrant ce triste chemin, 8
Cache au désespoir de ma mère 8
30 La place où je serai demain. 8
Mais si mon amante voilée 8
Aux détours de la sombre allée 8
Venait pleurer quand le jour fuit, 8
Éveille par un faible bruit 8
35 Mon ombre un instant consolée. » 8
Il dit, s'éloigne, et sans retour… 8
Sa dernière heure fut prochaine : 8
Vers la fin du troisième jour, 8
On l'inhuma sous le vieux chêne. 8
40 Sa mère (peu de temps, hélas ! ) 8
Visita la pierre isolée ; 8
Mais son amante ne vint pas ; 8
Et le pâtre de la vallée 8
Troubla seul du bruit de ses pas 8
45 Le silence du mausolée. 8
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