Métrique en Ligne
MLV_1/MLV26
Charles MILLEVOYE
POÉSIES
1801-1814
ÉLÉGIES
LIVRE SECOND
LA NÉRÉIDE
Quittez-pour l'Océan la source Aganippide, 12
Muses ! chantez Caltha, la blanche Néréide. 12
Vierge encor, de Doris et l'amour et l'espoir, 12
Des filles de Doris elle était la plus belle. 12
5 Thétis l'aimait, Thétis se plaisait à la voir ; 12
Les grands dieux de la mer s'empressaient autour d'elle. 12
Les nymphes l'admiraient ; les Tritons complaisants ! 12
A ses pieds, chaque jour, apportaient leurs présents ; 12
Même on dit qu'une fois le pasteur de Nérée, 12
10 Pour elle répétant la chanson désirée, 12
Oublia de veiller sur ses phoques pesants. 12
Quittez pour l'Océan la source Aganippide, 12
Muses ! chantez Caltha, la blanche Néréide. 12
Monarque aux flèches d'or, que révère Délos ! 12
15 A l'heure où tes coursiers se plongent dans les flots, 12
Tu la vis, tu l'aimas ; et la nymphe charmante 12
T'apparaissait, les nuits, sur la vague écumante. 12
Sur la vague, une nuit, dans le calme des airs, 12
Des oiseaux de Thétis écoulant les concerts, 12
20 Elle vit un nocher, dont la barque sans voiles 12
Voguait légèrement au rayon des étoiles, 12
Tandis que l'aviron, de son bruit mesuré, 12
Accompagnait ce chant par l'amour inspiré : 12
« Accours, hôte léger de la plaine liquide ! 12
25 De mes filets tendus ne crains plus les réseaux, 12
Ni l'hameçon qui flotte à la ligne perfide : 12
Typhis est amoureux d'une fille des eaux ; 12
Amoureux sans espoir ! De quel œil verrait-elle 12
Un simple nautonnier chérir une immortelle ? 12
30 Je n'ose de son nom charmer l'écho des mers, 12
De peur qu'en se jouant Zéphire sur son aile 12
Ne le porte à Doris ; et mon cœur le recèle, 12
Caché comme la perle au » :in des flots amers. 12
Quittez pour l'Océan la source Aganippide, 12
35 Muses ! chantez Caltha, la blanche Néréide. 12
Chaste nymphe ! la voix fit entendre ces mots : 12
« Jeune et beau nautonnier, que ton cœur se rassure ! 12
Du chasseur de Vénus tu connais l'aventure. 12
Lorsque Diane, un jour, s'égara vers l'Athmos, 12
40 Un pasteur dénoua sa pudique ceinture. 12
Le nautonnier doit plaire à la fille des eaux. 12
Les dieux curent souvent des mortels pour rivaux ; 12
Et peut-être, ô Typhis, la beauté qui t'est chère 12
A l'azuré Glaucus en secret te préfère. » 12
45 Une main sur la poupe, elle tient ces discours : 12
Et cependant la barque avait suivi son cours ; 12
Et Typhis, s'inclinant sur la rame agitée, 12
Abordait en silence à la dune écartée. 12
O déesse ! a-t-il dit, que vos pas immortels 12
50 Daignent toucher le seuil de mon humble cabane ! 12
Dès demain ce séjour ne sera plus profane ; 12
Je veux, en votre honneur, y dresser des autels. » 12
Elle cède… O surprise ! ô piége inévitable ! 12
Typhis est Apollon : de son front radieux 12
55 La splendeur éblouit la Néréide aimable, 12
Et le cri virginal retentit jusqu'aux cieux. 12
Doris l'entend ; Doris, par sa fille implorée, 12
Assiste, mais trop tard, la pudeur éplorée. 12
Le dieu cherche la nymphe ; il ne voit qu'une fleur, 12
60 Fleur triste, et des regrets infortuné symbole. 12
Il décore du moins de sa vive couleur 12
L'épouse d'un moment que sa pitié console, 12
Et le nom de souci rappelle sa douleur. 12
N'éclairant qu'à demi les célestes campagnes, 12
65 A la terre, trois jours, il voila ses rayons ; 12
Et, trois jours, de Caltha les plaintives compagnes 12
Mêlèrent leurs soupirs aux voix des Alcyons. 12
Quittez pour l'Océan la source Aganippide, 12
Muses ! pleurez Caltha, la blanche Néréide. 12
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