Métrique en Ligne
MLV_1/MLV24
Charles MILLEVOYE
POÉSIES
1801-1814
ÉLÉGIES
LIVRE SECOND
LES ADIEUX D'HÉLÈNE
Tu dors, ô Ménélas ! et la liquide plaine 12
Balance le vaisseau qui doit ravir Hélène. 12
Sur les parquets de cèdre, effleurés en tremblant, 12
Elle posait dans l'ombre un pied furtif et lent ; 12
5 Un obstacle imprévu l'arrête… elle frissonne… 12
Hélas ! ses mains touchaient le berceau d'Hermione. 12
Le ciel pour la punir lui gardait ces adieux. 12
« O ma jeune Hermione, ô fille aimable et chère ! 12
Dit-elle, ma faveur te demandait aux dieux ; 12
10 Et je pars ! et demain tu n'auras plus de mère ! » 12
A ces mots, l'œil baissé, tout entière à son deuil, 12
Du palais conjugal elle passe le seuil, 12
Et répète, en gagnant les rives écartées : 12
« O Pudeur ! où fuis-tu quand tu nous as quittées ? » 12
15 Des astres de la nuit brillaient les feux naissants : 12
Hélène, à leurs clartés, contemple cette terre, 12
Ces prés, ces eaux, témoins de sa fuite adultère ; 12
Et sa douleur s'exhale en ces tristes accents : 12
« Couvrez-vous d'un long deuil, odorantes prairies 12
20 Qu'au jour de mon hymen mes compagnes chéries, 12
La corbeille à la main, dépouillèrent de fleurs ! 12
Péris, arbre sacré, qui fus l'arbre d'Hélène, 12
Péris ! que des Autans l'impétueuse haleine 12
Sèche ton vert feuillage et fane tes couleurs ! 12
25 Je ne reverrai plus ton fortuné rivage, 12
Bel Eurotas ! adieu. Vous, cygnes de ces bords, 12
Dont un dieu pour ma mère emprunta le plumage ! 12
Formez avant le temps d'harmonieux accords ; 12
Que d'échos en échos votre chant se répète, 12
30 Et porte mes regrets aux nymphes du Taygète. » 12
Elle aperçoit alors ces platanes nombreux 12
Qui du long Céramique ornent le sein poudreux. 12
C'est là que devant elle une foule en extase 12
Oubliait pour lavoir les combats du Gymnase ; 12
35 C'est là que les vieillards se redisaient entre eux : 12
« Qu'elle est belle ! et combien Ménélas est heureux ! » 12
Plus loin, à ses regards, sur la haute colline, 12
De Minerve apparaît la demeure divine. 12
Elle rougit ; baissant la tète sur son sein, 12
40 Elle tourne ses pas vers le temple prochain : 12
Ce temple est à Vénus, mais à Vénus armée(1). 12
Hélène alors s'arrête : interdite, alarmée, 12
Elle croit que déjà la déesse en fureur 12
De ses futurs destins lui présage l'horreur ; 12
45 Elle croit, dans l'effroi dont son âme est saisie, 12
Voir les feux de l'autel s'élancer vers l'Asie. 12
Soudain Pâris accourt, d'espérance enflammé ; 12
Autour de lui s'exhale un nuage embaumé : 12
« Viens, tout est prêt ; Thétis a reçu mon offrande ; 12
50 Le zéphyr nous appelle, et la mer te demande. 12
Viens, ô ma belle amante, ô fille de Léda ! 12
Vénus veille sur nous des hauteurs de l'Ida, 12
Des mortels ni des dieux ne crains plus la colère : 12
Vénus est ma déesse, et Priam est mon père. » 12
55 Il dit ; la triste Hélène, en soupirant tout bas, 12
De son nouvel époux suit lentement les pas, 12
Non sans redire, au bruit des ondes agitées : 12
« O Pudeur ! où fuis-tu quand tu nous as quittées ? » 12
(1)  Dénomination de Vénus chez les Spartiates.
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