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MLV_1/MLV14
Charles MILLEVOYE
POÉSIES
1801-1814
ÉLÉGIES
LIVRE PREMIER
LE SORT D'UN AMANT
Tétais jeune, une déesse 7
Des cieux pour moi descendit ; 7
Souriant elle me dit : 7
« Je suis l'antique Sagesse. » 7
5 Son air de sincérité 7
Ajoutait encore aux grâces 7
De sa douce austérité ; 7
Elle ajouta : « Suis mes traces ; 7
Je mène à la vérité. » 7
10 Je la suivis ; mais les belles 7
De moi détournaient les yeux. 7
« Ah ! redisait l'une d'elles, 7
Jeune sage est bientôt vieux. » 7
A ces mots, de ma déesse 7
15 Je pris congé sans retard, 7
Et dis à l'enchanteresse : 7
« Prends pitié de ma vieillesse, 7
Rajeunis-moi d'un regard. » 7
Embrasé du feu lyrique, 7
20 J'osai jusque dans les cieux 7
Suivre l'aigle audacieux 7
En son essor pindarique. 7
Je vis les belles alors 7
Accueillir d'un ris perfide 7
25 Mes poétiques transports, 7
Et ces colombes de Gnide 7
S'enfuir devant mes accords, 7
Elles me disaient : « Compose 7
De plus gracieux écrits 7
30 Dont le baiser, dont la rose 7
Soient le sujet et le prix. » 7
A cette voix adorée 7
Je ne pus me refuser, 7
Et de ma lyre effleurée 7
35 Le chant n'eut que la durée 7
De la rose ou du baiser. 7
Maintenant que ma jeunesse 7
Traîne des jours sans désirs, 7
Et que l'abus des plaisirs 7
40 Me condamne à la sagesse : 7
Les belles, le front glacé, 7
Me regardent comme une ombre ; 7
Et pour elles, du passé 7
Les baisers, doux et sans nombre, 7
45 Semblent un songe effacé. 7
Les ingrates m'osent dire : 7
« Nous te répétions toujours 7
Que les travaux de la lyre 7
Usaient lentement tes jours. » 7
50 Plus que vous fidèle et tendre, 7
Cette lyre au monument 7
Avec moi voudra descendre ; 7
Mais qui de vous sur ma cendre 7
Viendra rêver un moment ? 7
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