Métrique en Ligne
MIL_1/MIL3
corpus Pamela Puntel
Albert MILLAUD
TRIOLETS
Poème publié dans le journal LE FIGARO (1870-1871)
1870-1871
LES DEUX ANNÉES
Dans sa cours elle temps emporte 8
L'an mil huit cent soixante-dix ! 8
La fatale année est bien morte… 8
De Profundis ! De Profundis ! 8
5 Brandissant encor cette épée 8
Dont l'humanité se ressent, 8
Elle s'endort, enveloppée 8
Dans son linceul taché de sang ! 8
Sachant bien qu'il faut qu'elle tombe, 8
10 Elle s'est construit son cercueil, 8
Elle s'est érigé sa tombe, 8
Avec des larmes et du deuil ! 8
Et la misérable, qui passe 8
Semant la mort à tous les vents, 8
15 Nous a, pour conserver sa trace, 8
Laissé des souvenirs vivants ! 8
La ruine, les incendies, 8
Dont il lui plut de nous combler, 8
Et ces hideuses tragédies 8
20 Que nous voyons se dérouler ; 8
La famine et les temps d'épreuve, 8
L'affreux cimetière tout plein, 8
L'épouse qu'elle rendit veuve, 8
L'enfant qu'elle a fait orphelin ; 8
25 Et nos campagnes désolées, 8
Nos défenseurs dans les prisons, 8
Et toutes nos villes pillées, 8
Et notre patrie en tronçons. 8
Le fils éloigné de sa mère, 8
30 Les familles sans pain ni feu, 8
Paris seul au monde, — le père 8
Mourant sans un baiser d'adieu ! 8
Toutes les nations en armes 8
Devant l'horizon menaçant, 8
35 tant de misère et tant de larmes 8
Qui se versent sur tant de sang ! 8
Qu'elle meure donc ! qu'elle emporte, 8
Aux yeux navrés de l'historien, 8
Avec la dernière fleur morte, 8
40 Le dernier hurrah du Prussien ! 8
Qu'elle emporte les rois tudesques, 8
Les princes croupiers et galants, 8
Et tant de souvenirs grotesques, 8
Et tant de souvenirs sanglants ! 8
45 Bismarck avec sa politique, 8
Que l'Europe admire si fort ; 8
De Moltke et toute sa tactique 8
— Le chancelier et le major ! 8
Qu'elle emporte aussi la dépêche 8
50 Qu'Augusta lit avec orgueil ; 8
— Glais-Bizoin, qui n'a qu'une mèche, 8
Et Gambetta, qui n'a qu'un œil ! 8
Et le blanquiste en sa tanière 8
Qui ne tient pas, mais qui promet ; 8
55 Et ces capitans de barrière 8
Qui se donnent tant de plumet !… 8
Et qu'elle emporte, en fin de compte, 8
Le ressouvenir abhorré 8
De Sedan, dont la France a honte, 8
60 Et du Bonaparte effaré ! 8
Qu'elle emporte aussi la mémoire 8
De nos capitulations ; 8
Qu'elle emporte enfin dans l'histoire 8
Toutes nos malédictions. 8
65 Mais voici l'aurore nouvelle 8
De l'an qui renaît et qui luit, 8
Sa première heure se révèle 8
Comme une étoile dans la nuit. 8
Puisse-t-elle, avec son cortège 8
70 De bons retours et de bienfaits, 8
Dans son berceau de pure neige, 8
Porter la victoire et la paix ! 8
Que ce soit Dieu qui nous l'envoie 8
Nourrice aux seins pleins de douceur, 8
75 Puisse-t-elle, à force de joie, 8
Panser le mal qu'a fait sa sœur ! 8
Comme la colombe de l'arche, 8
Fêtant la nature au réveil, 8
Qui rapportait au patriarche 8
80 La branche annonçant le soleil, 8
Puisse-t-elle, la jeune année, 8
Ramener nos pigeons vainqueurs, 8
Portant sous l'aile satinée 8
La nouvelle chère à nos cœurs. 8
85 Puisse-t-elle, sous l'ombre obscure, 8
Montrer à nos yeux enchantés, 8
Par une large déchirure, 8
Un ciel d'azur, plein de clartés. 8
Et puisse la France en délire, 8
90 Relevant son front plein d'orgueil, 8
Essuyer avec un sourire 8
Les pleurs de sa robe de deuil ! 8
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