Métrique en Ligne
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corpus Pamela Puntel
Albert MILLAUD
TRIOLETS
Poème publié dans le journal LE FIGARO (1870-1871)
1870-1871
UN VIEUX PRUSSIEN À UN JEUNE CONSCRIT
« O meine liebe Karl écoute, 8
Écoute et ne sois point surpris. 8
Ça ne fait plus l'ombre d'un doute, 8
Nous allons entres dans Paris. 8
5 » J'y suis entré déjà moi-même 8
En mil huit cent quinze autrefois. 8
C'est un songe ! c'est un poëme ! 8
Ouvre l'oreille : écoute et vois. 8
» A quelques pas des Tuileries 8
10 Je te mènerai, pour régal, 8
Tout d'abord, voir les galeries 8
De bois, dans le Palais-Royal. 8
» Sous ces arcades colossales 8
Qui s'ouvrent sur des frais jardins, 8
15 Nous fumerons quelques cigales 8
En observant les muscadins. 8
» Nous y verrons, lèvre mi-close, 8
des femmes chanter sans émoi 8
Sur la harpe : « Bouton de rose ! 8
20 Tu seras plus heureux que moi ! 8
» C'est un air qu'on chante en famille, 8
Après quoi tu visiteras 8
L'éléphant noir de la Bastille : 8
— Il est en bois et plein de rats ! 8
25 » Nous verrons encor d'autres femmes 8
A Tivoli, bal vénéré. 8
Ah ! quels cancans nous y pinçames 8
Avec la reine Pomaré ! 8
» Cherchant des loisirs moins folâtres, 8
30 Nous irons, si ça t'est égal 8
Voir jouer dans les grands théâtres 8
Les ouvrages de Lancival. 8
» Je me souviens de quelque bribe 8
Des vieilles chansons qu'inventait 8
35 A cette époque, un nommé Scribe, 8
Jeune écrivain qui promettait. 8
» Tes souliers sont très ridicules : 8
Nous irons donc chez Sakowski, 8
Et nous verrons aux Funambules 8
40 Travailler madame Saqui. 8
» Nous ferons avec du champagne 8
Chez Ramponneau plus d'un festin, 8
Et nous irons à la campagne 8
Par le coucou du Plat-d’étain. 8
45 » Tu verras, ô jeune recrue, 8
Tu verras certaine beauté 8
Que je courtisais dans la rue 8
Du Doyenné… O volupté !… 8
» Amours ! voluptés et rasades ! 8
50 C'était le deux août ! Je m'entend… 8
— Nous sommes dix-sept camarades 8
Qui pouvons tous t'en dire autant… » 8
— Ainsi parla la vieille bête… 8
Le jeune conscrit, tout surpris, 8
55 Répondit à la chansonnette 8
En tendant le doigt vers Paris : 8
» Et ce rempart qui nous menace, 8
Et ces canons qu'on voit là-bas, 8
Et qu'on charge par la culasse, 8
60 Sergent, tu ne m'en parles pas ! 8
» Et ces marins au tir habiles, 8
Ces clous perçants, au fer pointu, 8
Et ces gardes, et ces mobiles, 8
Dis-moi, soldat, t'en souviens-tu ? 8
65 » Dans l'histoire que tu m'as faite, 8
Tout cela n'est donc pas compris ? 8
— C'est vrai, reprit la vieille bête, 8
On m'a changé mon vieux Paris ! » 8
Albert Millaud.
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