Métrique en Ligne
MIK_1/MIK27
Éphraïm MIKHAËL
Œuvres
1884-1890
POÉSIE
Le Cor Fleuri
Féerie
PERSONNAGES
Oriane
Doriette
Silvère
Obéron
La scène représente une clairière dans la forêt des fées. Parmi des herbes lumineuses et des fleurs coule une fontaine. A droite, des buissons de roses. Oriane est assise près de la fontaine. Elle dévide sur son rouet des fils pareils à des rayons de lune.
ORIANE
O fils resplendissants, ô fils couleurs d’étoile, 12
Serez-vous le manteau d’un prince ou bien le voile 12
D’une reine ?… Non, non, fils couleur du printemps, 12
Je veux que vous soyez les clairs rideaux flottants 12
5 Éployés sur le lit ardent d’une amoureuse, 12
Comme un pavillon d’or sur une barque heureuse. 12
Un silence. Le rouet s’arrête. Oriane laisse tomber son fuseau et rêve.
Oui, moi la calme sœur du lys et du ramier, 12
J’aime l’amour, et c’est mon plaisir coutumier 12
D’endormir une vierge en des songes d’épouse. 12
O songes nuptiaux…
Vivement, se faisant un reproche.
10 Eh bien ! suis-je jalouse ?
Oriane serait jalouse des amants ? 12
Ah ! folle !… N’ai-je pas dans mes palais dormants 12
L’orgueil des voluptés ineffablement pures ? 12
Là-bas, aux buissons bleus je cueille au lieu de mûres 12
15 Des saphirs… Et le soir, en tournant mes fuseaux, 12
J’entends chanter les mandragores. Mes oiseaux 12
Exhalent dans leur vol un parfum de corolles. 12
Et je suis une fée, et je sais les paroles 12
Qui font surgir au ciel des astres inconnus. 12
Je peux tout !
Tristement.
20 Non ! car mes longs cheveux, mes bras nus,
Ma gorge qui s’émeut sous ma robe étoilée, 12
Nul ne les voit ! et si, parfois, dans une allée 12
Un voyageur épris de cieux et de forets 12
Passe en chantant au loin, vite, je disparais ! 12
25 Car Obéron, le roi des forêts merveilleuses, 12
Le veut ainsi ! Je puis dormir sous les yeuses 12
Du chemin. Le passant ne vient pas, ébloui, 12
Me réveiller : Je suis invisible pour lui, 12
Et, toute, je me mêle à la vapeur des sentes, 12
30 Aux brumes de la lune, aux clartés frémissantes 12
Qui meurent sur les champs, les jardins et les bois. 12
Pour qui donc suis-je belle, hélas !
Elle se mire dans la fontaine.
Mais tu me vois,
Ciel où veillent des yeux ; et toi, forêt vivante, 12
Tu me vois. Le baiser que mon rêve me vante, 12
35 Le baiser ne vaut pas la caresse du soir, 12
Tout parfumé de fleurs féeriques. Mon pouvoir 12
Est plus doux que l’amour. Je suis l’heureuse reine 12
Que jamais nul désir ne troublera.
DORIETTE, entrant brusquement.
Marraine,
Venge-moi !
ORIANE
Doriette ! Oh ! quels yeux en courroux !
DORIETTE
40 Écoute-moi ! jadis parmi les buissons roux 12
Tu m’as trouvée ainsi qu’une abeille exilée 12
Des belles ruches d’or.
ORIANE, riant.
Et je vous ai volée !
DORIETTE
Tu m’as prise en tes bras, marraine, et j’ai grandi 12
Dans la forêt que dore un magique midi. 12
ORIANE
45 Oui, mais tu fuis parfois la divine clairière. 12
Tu t’en vas, déployant, ô ma douce guerrière, 12
Comme un noble étendard tes cheveux dans le vent, 12
Et je sais que là-bas tu triomphes souvent 12
Et qu’en des soirs d’orgueil tu choisis pour escorte 12
Des rois tristes que tu domptas.
DORIETTE
50 Oui, je suis forte !
Mes pieds se sont posés sur les grands boucliers 12
Comme de blancs oiseaux frêles et familiers 12
S’abattent sur les toits altiers des citadelles. 12
Oui, partout, des amants inconnus et fidèles 12
55 M’attendent. Eh bien, là, dans le bois, ce matin, 12
Je ne sais quel chanteur puéril et hautain 12
M’insulta, comprends-tu, moi la victorieuse ! 12
Mais tu me vengeras.
ORIANE
Ma belle furieuse,
Conte-moi quelle fut cette insulte !
DORIETTE
J’errais,
60 Écoutant vaguement sous les feuillages frais 12
Les murmures amis d’une source sacrée. 12
Soudain (certes, j’eus tort !) ma ceinture dorée 12
Et ma robe, je les jetai dans les buissons, 12
Et, souriante, avec de farouches frissons, 12
65 Je me cachai dans la splendeur de la fontaine. 12
ORIANE, vivement.
Et l’enfant qui rêvait sur la route lointaine 12
Accourut, vit briller l’éclair de tes cheveux, 12
S’enivra de ta chair et, dans ses bras nerveux, 12
Prit, comme un ægipan vainqueur d’une faunesse, 12
70 Ton cher corps éclatant de royale jeunesse ? 12
DORIETTE, un peu confuse.
Eh ! non, ce ne fût pas cela…
ORIANE
Tu me parlais
D’une insulte ?
DORIETTE
Tandis, hélas ! que je voilais
Ma face avec mes doigts mal clos, l’enfant sauvage, 12
Sans se cacher parmi les saules du rivage, 12
75 Sans épier la source où je riais, pourtant ! 12
Passa, les yeux au ciel, dédaigneux et chantant. 12
ORIANE
Certes, filleule, il t’a gravement offensée. 12
Il va mourir, c’est dit !
DORIETTE, vivement,
Je n’ai pas la pensée
De le tuer ! Vois-tu, cet enfant étranger, 12
80 Je le hais ! Mais on peut haïr sans égorger, 12
Et je ne rêve pas pour uniques délices 12
De le voir dévoré des louves et des lices. 12
ORIANE
Veux-tu qu’il t’aime ?
DORIETTE
Non ! Il est trop tard. Vraiment,
Je ne sais que vouloir. Imagine un tourment. 12
Elle cherche.
85 L’enchaîner sur le bord effroyable d’un gouffre ? 12
Non ! Le changer en pierre, en arbre ?… Il faut qu’il souffre. 12
Et le roc ne sent rien et l’arbre a trop de fleurs. 12
Cherchons encor !… La terre est pauvre de douleurs. 12
Tiens ! Que près de la source où je fus offensée 12
90 Il soit troublé de quelque étrange fiancée ; 12
Que j’entende monter aux cieux lointains et sourds 12
Ses sanglots et les cris de ses vaines amours. 12
ORIANE
Par qui le ferons-nous punir ?
Brusquement, à elle-même.
Oh ? quelle idée !
À Doriette.
Le châtiment est sûr, car tu seras aidée 12
Par quelqu’un de très grand…
DORIETTE
95 Ciel ! Ai-je deviné.
C’est toi qui vas…
ORIANE
Pourquoi ce regard étonné ?
Je t’obéis. Je veux le châtier moi-même. 12
DORIETTE
Réfléchis… Tout à l’heure il te criera : « Je t’aime. » 12
Et penché vers ta lèvre il te dira tout bas 12
100 Des mots victorieux… Tu ne faibliras pas ? 12
ORIANE
Oriane ne peut s’attendrir.
DORIETTE
Es-tu sûre ?
ORIANE
Oui, mon cœur souverain ne craint pas la blessure 12
Des amours vaines…
DORIETTE, résignée.
Soit ! si tu veux, venge-moi !
Oriane s'avance vers les arbres et fait des signes magiques avec son fuseau.
ORIANE
Obéron, Obéron, je t’appelle, ô mon roi ! 12
Obéron parait.
OBÉRON
105 Que veux-tu donc ? Vas-tu me demander encore 12
Une robe trempée au gouffre de l’aurore ? 12
Veux-tu boire du clair de lune ? Te faut-il 12
Quelque voile tissé d’une brume d’avril ? 12
Faut-il que pour parer ton front et tes oreilles 12
110 Je prenne aux nuits d’été des étoiles vermeilles ? 12
ORIANE
Non, ni joyaux du ciel, ni robe ! Mon souhait, 12
C’est de n’être plus seule avec le bois muet. 12
Roi, je veux qu’un jeune homme à la lèvre attendrie 12
Voluptueusement ne parle
et ne sourie.
115 Déliez ce serment cruel qui me défend 12
D’apparaître. Je veux que là-bas un enfant 12
Voie au fond de la nuit éternelle du monde 12
Ma gorge resplendir comme une clarté blonde : 12
Je veux livrer au vent terrestre mes cheveux. 12
OBÉRON
120 Vous voulez être femme, Oriane ! Ces vœux 12
Sont indignes de vous ! Comment ! vous êtes fée, 12
Vous passez dans le soir, lumineuse et coiffée 12
De rayons ; vous cueillez toutes les fleurs du ciel, 12
Vous saccagez, comme un enfuit voleur de miel, 12
125 Le nuage rempli de clarté savoureuse ! 12
Et puis, vous voulez être, hélas ! quelque amoureuse, 12
Quelque fille rôdant le soir furtivement 12
Dans l’ombre des chemins, au bras de son amant, 12
Et vous vous éprendrez, ô ma blanche Oriane, 12
130 Comme Titania, d’un rustre à tête d’âne ! 12
ORIANE, très grave.
Aucun philtre, ô mon roi ! n’a troublé ma raison. 12
Moi, déchoir ! Non : Je suis de trop noble maison, 12
Étant née, un printemps, d’une perle enchantée. 12
Mais vous ne m’avez pas, sire, assez écoutée, 12
135 Car je veux apparaître, un seul jour, un moment, 12
Pour qu’un enfant plaintif m’appelle éperdument 12
Et pleure de me voir…
Suppliante.
Un seul jour ! Que t’importe ?
Puis il me verra fuir comme une étoile morte 12
Qui s’engloutit dans la tristesse de la mer. 12
140 Et son cœur gardera comme un parfum amer 12
Le souvenir mortel de ma lèvre illusoire. 12
OBÉRON
Va ! mais garde ce cor d’argent pâle et d’ivoire. 12
Si l’enfant prisonnier de ta jeune splendeur 12
Troublait ton cœur sacré d’une mauvaise ardeur, 12
145 Si ton front rougissait d’une aurore charnelle, 12
Appelle-moi. Sinon tu seras l’éternelle 12
Exilée. A jamais, avec des sanglots vains, 12
Femme tu pleureras loin des palais divins. 12
Mais quand tu voudras fuir la honte de la terre, 12
150 N’importe où tu seras, dans le val solitaire, 12
Aux champs tumultueux, dans les bois endormis, 12
Sonne de l’olifant vers les astres amis. 12
Je viendrai t’emporter comme une belle proie 12
Vers les pays de rêve et de féerique joie. 12
Obéron disparaît.
ORIANE
155 Doriette, j’ai peur délicieusement. 12
Femme !… J’ai sous les pieds le grêle froissement 12
De l’herbe fraîche, moi qui volais dans la nue ; 12
Maintenant je me sens comme si j’étais nue 12
Et comme si le vent du soir était plus près 12
160 De mon front… O senteur nouvelle des forêts ! 12
Naguère j’aspirais en mes divines courses 12
Je ne sais quels parfums magiques. L’eau des sources 12
Se changeait sous ma lèvre en céleste liqueur. 12
Qu’elle est bonne, l’eau des fontaines !… Tout mon cœur 12
165 Frémit quand le vent rude effleure mes épaules ! 12
Oh ! je voudrais courir là-bas, parmi les saules. 12
Mais il est temps. Tu vois que je te vengerai. 12
Cherchons cet insolent.
DORIETTE
Ah ! j’aurais préféré
Moins de zèle !
Oriane fait un geste de surprise.
Ne va pas croire que je l’aime,
170 Ce rôdeur de forêts, harmonieux et blême ! 12
C’est un rêveur, un fou qui cause avec le vent 12
Et marche dans les fleurs frémissantes, buvant 12
Les vaines voluptés de la brise estivale. 12
Puis tu ne serais pas d’ailleurs une rivale. 12
175 Certes, s’il t’effleurait de ses désirs humains, 12
Si sa lèvre insultait la neige de tes mains, 12
Tu sonnerais du cor et tu te perdrais toute 12
Dans les brouillards du ciel natal…
ORIANE, impatientée.
Eh ! oui, sans doute.
Allons vers cet enfant !
Une flûte chante au loin, puis une voix s’élève.
DORIETTE
Il est ici. J’entends
Ses chansons.
ORIANE
180 Oui, là-bas, indécis et flottants,
Des murmures de flûte éveillent les fleurs closes. 12
Épions-le. Viens nous cacher parmi ces roses. 12
Oriane entraîné Doriette dans les buissons. Elles se cachent.
SILVÈRE, au loin.
Les filles dansent dans les vignes ; 8
Sur le grand lac sombre et charmant, 8
185 Entendez-vous l’adieu des cygnes 8
Mourant mélodieusement ? 8
Des chœurs dansants de vendangeuses 8
S’unissent autour du pressoir ; 8
Entendez-vous les voix songeuses 8
190 Des cygnes mourant dans le soir ? 8
Il parait à la lisière du bois.
Oui, les cygnes ! les blancs chanteurs ! Je les envie 12
Et je voudrais mourir comme eux, l’âme ravie, 12
En chantant noblement sur les fleuves aimés. 12
O musique ! Des bois, des vergers embaumés, 12
195 S’échappe une chanson puissante qui m’enivre. 12
Là-bas, des gens m’ont dit, un jour, qu’on pouvait vivre 12
Sans écouter le bruit des arbres triomphaux ; 12
Mais, bien sûr, ils se sont moqués de moi. C’est faux, 12
Car, moi je le sais bien, il faut, pour que l’on vive, 12
200 Mêler sa voix à la rumeur gaie ou plaintive 12
De la bonne forêt, des brises et des eaux. 12
O mon Dieu ! je voudrais être tous les oiseaux. 12
Il écoute chanter un rossignol.
Rossignol ! Il s’en va ; les bêtes sont méchantes ! 12
Il se tourne vers les arbres, Ils mains jointes comme pour prier le rossignol.
Je voudrais tant savoir la chanson que tu chantes ! 12
Il est adosse à un arbre, comme en extase. Oriane sort à demi des buissons et fait signe à Doriette de rester cachée.
ORIANE
205 Nuit langoureuse ! Odeur lointaine des moissons, 12
Extase ! Ah ! je suis folle. Il est temps. Punissons 12
L’insulteur !
Elle va vers Silvère.
Tiens ! il dort. Une magicienne
L’aura touché peut-être, ou quelque égyptienne 12
Épancha sur ses yeux des urnes de sommeil. 12
Que fait-il là, debout ?
A Silvère.
210 Mais vous êtes pareil
Aux oiseaux endormis dans les branches ! Sans doute 12
Vous ne m’entendez pas !
SILVÈRE, sans se retourner.
Je ne dors pas, j’écoute.
Aller-vous-en. Le soir tranquille était si doux. 12
ORIANE
Farouche ! Non, je veux m’asseoir auprès de vous, 12
Tout près, pour vous troubler !
Elle éclate de rire. Silvère se retourne, étonné.
SILVÈRE
215 Mon Dieu, suis-je en délire ?
Quel oiseau merveilleux a chanté ?
ORIANE
C'est mon rire !
SILVÈRE
Oh ! par grâce, riez encore !
ORIANE
Vous vouliez
Être tout seul dans l’ombre heureuse des halliers ; 12
Faites rire les bois. Je pars.
SILVÈRE, suppliant.
Je vous en prie !
220 Nous veillerons tous deux dans la forêt fleurie, 12
Reste ! Tu dois savoir des airs mystérieux. 12
Tout à l’heure j’étais méchant. Comme tes yeux 12
Sont clairs !
Il cueille une fleur. Oriane s’est assise sur une espèce de banc couvert de mousse. Elle joue avec le cor qu’elle tient à la main.
Prends cette fleur, c’est une primevère.
Cette autre encor !
ORIANE, prenant les fleurs,
Comment te nommes-tu ?
SILVÈRE
Silvère !
ORIANE
Eh ! que fais-tu ?
SILVÈRE
225 Je chante au milieu des bergers.
Tenez, ces fleurs aussi ! Mettez ces lys légers 12
là, dans ce cor, ainsi que dans une urne blanche. 12
Je connais tout le bois. Je sais où la pervenche 12
Se dérobe et je sais quel arbre va fleurir. 12
230 Veux-tu de l’aubépine ? Oh ! je voudrais t’offrir 12
Tout le printemps ! Pourtant, j’ai peur de vous. Vous êtes 12
Trop belle !
ORIANE, coquette.
Vous trouvez !
SILVÈRE
Oui, j’ai vu dans des fêtes
Parmi les rois vêtus d’argent et de satin 12
Une joyeuse reine au sourire enfantin. 12
235 Mais votre main est plus royale que la sienne. 12
ORIANE
Vraiment ?
SILVÈRE
Et votre voix, blonde musicienne,
A l’air de commander aux bois obéissants. 12
Venez plus près, parmi les lys. Oh ! je me sens 12
Défaillir doucement.
Pendant toute la scène, il n’a cessé de cueillir des fleurs Il les apportait à Oriane. Oriane qui joue avec le cor y place les fleurs comme dans une urne. Au moment où Silvère l'attire vers lui, elle dépose nonchalamment le cor sur le banc de mousse.
Reste ainsi rapprochée.
240 Je rêve que la nuit divine s’est penchée 12
Sur moi comme une belle et pacifique sœur. 12
DORIETTE, sortant du buisson.
Va-t’en, il t’aime assez.
ORIANE, à Doriette.
Tout à l’heure.
A elle-même.
O douceur
Des paroles d’amour !
SILVÈRE
Vois-tu, dans ton haleine
Je respire les fleurs absentes de la plaine. 12
Donne ta lèvre !
ORIANE, se défendant mal.
Non ! Non !
DORIETTE, sortant du buisson.
245 N’est-ce pas encor
Le moment ?
ORIANE, comme en extase.
Le moment ?
DORIETTE
Allons, vite, le cor !
SILVÈRE
Ta chevelure blonde illumine et parfume 12
L’ombre douce et le soir voilé de claire brume. 12
DORIETTE
Hâtons-nous !
ORIANE, à Doriette.
Un instant ! Aurais-tu peur ?
Elle rit. A elle-même.
Je ris.
250 Mais mon cœur a tremblé comme un oiseau surpris. 12
SILVÈRE, il se lève, va vers elle et l’enlace.
Je t’aime !
DORIETTE
Sonne donc !
ORIANE
Soit ! Ma tâche est finie.
Avec une ironie affectée, elle se dégage.
Bonsoir, enfant ! Oui, j’ai laissé par ironie 12
Errer ta jeune lèvre en mes cheveux épars, 12
Et je riais de toi. Mais c’est assez, je pars. 12
Elle va vers le banc et reprend le cor.
SILVÈRE
255 Vous partez ! O mon Dieu, vous me quittez. Je tremble. 12
Que vous ai-je donc Eût ? Restez ! Mais il me semble, 12
Puisque vous me fuyez, que la lune d’été 12
Se retire du ciel et reprend sa clarté ; 12
Il me semble que les forêts sont désolées, 12
260 Que tu vas emporter comme des fleurs volées 12
Dans ta robe et tes mains tous les astres des cieux. 12
Oh ! je souffre d’amour !
Il pleure, la tête entre ses mains. Oriane repose le cor sur le banc.
ORIANE, rêvant.
Songe délicieux !
Plane encore sur moi !…
SILVÈRE
Tu m’as pris mes soirs calmes,
Tu m’as pris les forêts et les jardins de palmes, 12
265 Tu m’as pris l’amitié des oiseaux fraternels. 12
Je ne chanterai plus : des sanglots éternels 12
Étoufferont en moi mes chansons bien aimées ; 12
Lorsque je marcherai sous les tristes ramées, 12
Je ne connaîtrai plus la caresse des bois 12
270 Et mon cœur exilé n’entendra plus de voix. 12
Oriane le regarde, affectant l’ironie.
Oh ! je mourrai de ton regard qui me méprise ! 12
ORIANE
Eh bien ! non. J’ai menti ! Vous le savez, ô brise, 12
O sentier lumineux et blond où je passais ; 12
Et toi, claire fontaine amie, oui, tu le sais, 12
275 Toi vers qui je penchais ma gloire aérienne, 12
Je ne puis plus partir maintenant. Je suis sienne. 12
SILVÈRE
Que dit-elle ?
ORIANE
Prends-moi, Silvère. Je consens.
SILVÈRE
Viens ! je vais t’emporter dans mes bras frémissants 12
A travers la splendeur de la forêt complice. 12
280 Pour que l’hymen de nos deux rêves s’accomplisse 12
Les astres nuptiaux ferment leurs yeux cléments. 12
Dans tout le bois pour le triomphe des amants 12
Un féerique printemps épaissit la feuillée. 12
Tout se tait. Pas un cri d’oiselle réveillée, 12
285 Pas un frisson de vent sur le calme gazon. 12
Viens ! Je crois voir là-bas le ciel de l’horizon 12
S’ouvrir pour nous ainsi qu’une porte divine. 12
Viens ! Nous nous en irons dans la bonne ravine 12
Et, pendant nos premiers baisers, nous sentirons 12
290 Les rosiers indulgents se pencher sur nos fronts. 12
ORIANE
Oui, l’ivresse d’aimer trouble mon âme ardente. 12
Fuyons !
DORIETTE, sortant du buisson.
Mais sonne donc !… Elle fuit… Imprudente !
Tu me venges trop bien, Oriane ! Merci… 12
Je n’avais pas rêvé de le punir ainsi. 12
295 Oriane, Oriane ! Hélas ! dans la broussaille. 12
Elle regarde dans le buisson.
Elle faiblit ! la feuille autour d’elle tressaille. 12
Ses cheveux dénoués semblent un ruisseau d’or ! 12
Oh ! je veux la sauver. Je vais prendre le cor 12
Moi-même !
Elle saisit le cor et le forte à ses livres. Le cor ne rend aucun son.
L’olifant reste muet ! Prodige !
300 Mais non, ce sont les fleurs !… Allez-vous-en, vous dis-je, 12
Mauvaises fleurs !
Elle arrache violemment les fleurs.
Enfin ! Mes appels éclatants
Vont évoquer le roi sauveur.
De nouveau elle porte le cor à ses lèvres. Mais avant de sonner elle regarde encore le buisson.
Il n’est plus temps !
Oriane et Silvère reparaissent au milieu des arbres.
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