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MIC_1/MIC3
Louise MICHEL
ŒUVRES POSTHUMES
1900-1910
AVANT LA COMMUNE
SAINT-JUST
Ombre d’un citoyen, Saint-Just, je te salue ! 12
Viens, frère, parle-moi : l’heure est-elle venue ? 12
Les Pharaons vont-ils tomber ? 8
Vois-tu, souvent la nuit, quand l’horizon est sombre, 12
5 Je m’en vais en rêvant, et près de moi ton ombre 12
Se dresse et semble me parler. 8
Et nous allons tous deux, moi dans l’ombre indécise, 12
Toi dans l’éternité ; nous allons, et la bise 12
Pleure les morts et les proscrits. 8
10 Et tout ce qui jadis éblouissait le monde, 12
La liberté, l’honneur, semble dormir sous l’onde. 12
Le silence même a des cris. 8
Une immense hécatombe, un sépulcre, un repaire, 12
Voilà ce qu’ils ont fait de la patrie, ô frère. 12
15 L’aigle a fondu de son rocher, 8
Les chacals ont rampé, l’hyène immonde est venue 12
Et l’on ne voit plus rien sur terre et dans la nue. 12
L’avenir peut-il abdiquer ? 8
Vois ce qu’ils ont, ces loups, fait de la République ? 12
20 Ce peuple au cœur ardent, ce peuple magnifique 12
Prend pour maître un aventurier ; 8
Il ne s’éveille plus au bruit de son histoire, 12
Même sous le fouet ; c’est à ne pas y croire, 12
Sa honte est à terrifier. 8
25 Oh ! du moins, autrefois, dans vos luttes sanglantes, 12
Le cœur battait à l’aise, et des ailes géantes 12
Emportaient votre esprit en haut : 8
On pouvait, en mourant sur la place publique, 12
Crier de l’échafaud : « Vive la République ! » 12
30 Oh ! c’était grand et c’était beau ! 8
Aujourd’hui, tout se tait ; on entasse dans l’ombre, 12
Pour qu’ils ne parlent plus, des prisonniers sans nombre, 12
Car la mort ferait trop de bruit. 8
Et quand on voit parfois que cette agonisante 12
35 Qu’on appelle la France a murmuré, mourante, 12
Un soupir dans l’affreuse nuit ; 8
Quand elle a tressailli de honte ou de colère, 12
L’homme qui la soumet, horrible bestiaire, 12
Sur elle étend son hideux bras ! 8
40 Et nous souffrons cela ! ce néant nous domine ! 12
Le nain pour piédestal a pris une colline 12
Et nous le regardons d’en bas. 8
Oh ! vous nous méprisez, vous, ombres magnanimes, 12
Qui donniez, frémissants de vos désirs sublimes, 12
45 Jusqu’à la bonté de vos cœurs. 8
Vous qui saviez briser dans le fond de vos âmes 12
Toute faiblesse humaine et qu’on traitait d’infâmes, 12
Effrayants et saints éclaireurs ! 8
Oh ! vous étiez bien purs, quoique étant implacables, 12
50 Et vous étiez bien grands, apôtres formidables 12
De l’auguste fraternité. 8
Or, tandis que mes yeux se remplissaient de larmes, 12
Une nuit, j’entendis comme un lointain bruit d’armes 12
Dans le silence répété. 8
55 C’étaient eux ! les géants, les terribles archanges 12
Qui pour ouvrir la route ont mis dans leurs phalanges 12
La mort, comme on met un faucheur. 8
C’étaient eux qui, le cœur saignant sur la victime, 12
Frappaient le souverain, montrant de loin l’abîme 12
60 Aux rois livides de frayeur. 8
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Comme je regardais cette cohorte sombre, 12
Un d’eux, s’en détachant, vint près de moi dans l’ombre 12
Et me tendit ses pâles mains, 8
Comme les donne un frère après les jours d’absence, 12
65 Et je lus dans son âme, au milieu du silence, 12
L’arrêt terrible des destins. 8
Tous deux nous paraissions à peu près du même âge, 12
Et soit que ce fût l’âme, ou l’air, ou le visage, 12
Ses traits étaient pareils aux miens. 8
70 Et Saint-Just me disait dans la langue éternelle, 12
« Entends-tu, dans la nuit, cette voix qui t’appelle, 12
Écoute, l’heure sonne, viens ! » 8
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