Métrique en Ligne
MIC_1/MIC26
Louise MICHEL
ŒUVRES POSTHUMES
1900-1910
AVANT LA COMMUNE
CHANSON DES FLOTS
I
L’Océan mugit et palpite 8
Dans le vaste abîme des eaux, 8
Et plus largement et plus vite 8
Les fleuves courent vers les flots ; 8
5 Du fond de la mer haletante 8
Sortent de longs mugissements, 8
Avec ces râles d’épouvante, 8
Ô mer, pleures-tu tes enfants ? 8
Racontes-tu, mère géante, 8
10 Comment tes fils des premiers jours 8
Ont soulevé leur chair vivante 8
Dans les éléments en amours ? 8
Comment, dans les chaleurs énormes, 8
Parurent les étranges formes 8
15 Des monstres effrayants et lourds ? 8
II
La mer monte, le flot s’élève ; 8
C’est l’heure où s’éteint le couchant, 8
L’heure de la nuit et du rêve 8
Où parlent les flots et le vent. 8
20 D’hier ou bien des jours sans nombre, 8
Voici tout le passé dans l’ombre, 8
Tout, sans cesse, se transformant. 8
Voici la terre à son aurore, 8
Ainsi qu’un soleil flamboyant ; 8
25 Sur le cratère ardent encore, 8
Le premier archipel flottant, 8
Qui, sous la noirâtre buée, 8
Entre la flamme et la nuée, 8
Émerge pour l’effondrement. 8
30 Comme au four du potier l’argile, 8
Les monstres au granit pareils, 8
Les rochers, le sable fragile, 8
Fondent, redevenant vermeils ; 8
Les océans, coupes trop pleines, 8
35 Se versent, recouvrant les plaines ; 8
Tous les cratères sont soleils. 8
Enfin la plante ouvre la terre 8
Et les grands monts sont soulevés, 8
Jetant sur le fauve repaire 8
40 Leurs abîmes bouleversés. 8
Tout se dévore ! êtres et mondes 8
Emplissent de gueules immondes 8
Les continents bouleversés. 8
Enfin, les éléments s’apaisent ; 8
45 Le sol mouvant peut s’affermir. 8
Dans les tourmentes qui se taisent, 8
Des races vont croître et mourir. 8
À peine si, parfois encore, 8
On voit à quelque rouge aurore 8
50 Les vieux rivages s’engloutir. 8
Comme sur le hêtre ou le chêne, 8
Par anneaux on compte les ans, 8
Le sol a la trace lointaine 8
De tous ces profonds changements. 8
55 Toujours, toujours les vastes ondes, 8
Les antres, les forêts profondes, 8
Fourmillent d’êtres dévorants. 8
Cependant, à chaque naufrage, 8
Le progrès grandit lentement ; 8
60 Et toujours on va d’âge en âge 8
À quelque épanouissement. 8
On n’est rien que la brute humaine ; 8
Mais la race haute et sereine 8
Aura son accomplissement. 8
65 Avant que la terre ne meure, 8
L’homme qui nous succédera 8
Transfigurera sa demeure ; 8
La nature le servira. 8
Ère de héros, de poètes, 8
70 Pour eux, au milieu des tempêtes, 8
Tout élément travaillera. 8
III
Les gouttes d’eau sont bien des mondes, 8
Elles ont leurs monstres flottants. 8
Qui connaît leurs aurores blondes ? 8
75 Qui sait leurs combats de géants 8
Et les splendeurs que la nature 8
Prodigue dans la moisissure 8
Qui leur forme des continents ? 8
Grondez, grondez, flots monotones ! 8
80 Passez, passez, heures et jours ! 8
Frappez vos ailes, noirs cyclones ! 8
Ô vents des mers, soufflez toujours ! 8
Emportez, houles monotones, 8
Hivers glacés, pâles automnes, 8
85 Et nos haines et nos amours ! 8
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