Métrique en Ligne
MIC_1/MIC17
Louise MICHEL
ŒUVRES POSTHUMES
1900-1910
AVANT LA COMMUNE
LE BARDE
Debout au pied d’un chêne à l’ombre prophétique, 12
Le barde était resté dans la forêt antique, 12
Interrogeant les nuits, 6
Les ténèbres, la mort ; perdu dans les mystères, 12
5 Et voyant au lointain s’enfuir vers d’autres terres 12
Des phalanges d’esprits. 6
La nuit était obscure et les ombres profondes ; 12
Et pourtant il voyait aux cieux errer les mondes, 12
Tournoyer les soleils ; 6
10 Et la clarté venir, ouvrant de vastes ères 12
À l’univers obscur ; les grandes lumières 12
Descendre en flots vermeils ! 6
Mirage éblouissant : il vit au loin les mages, 12
Éclairant, à travers les ténèbres des âges, 12
15 Les générations. 6
« Teutatès, disait-il, à quoi bon mon courage ? 12
Et qui suis-je ? » L’Esprit dit : « La voix qui présage 12
Les révolutions ! » 6
Or, il ne savait pas, la Gaule étant paisible, 12
20 Que le soldat romain, à l’épée invincible, 12
Y placerait César ; 6
Et ne comprenait point que le gibet infâme, 12
Dressé par les tyrans, déifiait une âme 12
Bien plus haut que le char. 6
25 Huit ans se sont passés, et la voix des présages, 12
Autour du noir cromlech’, dans les souffles d’orages, 12
S’éveille chaque nuit. 6
César règne vainqueur sur la Gaule conquise ; 12
Mais d’être sa captive indignée et surprise 12
30 La Gaule le maudit. 6
Les échos des forêts, les profondes ténèbres, 12
La nuit, vont répétant les paroles funèbres 12
Que disent les Gaulois, 6
Se souvenant du jour où pâles d’épouvante, 12
35 Les vieux Romains ont vu leur stature géante 12
Pour la première fois. 6
Et le barde, debout, sous l’arbre fatidique, 12
Parlait, et de sa bouche austère et prophétique 12
Sortaient des mots de feu. 6
40 Car il n’était plus seul sous le chêne magique ; 12
Les Gaulois écoutant sa parole énergique 12
Croyaient ouïr leur Dieu. 6
« Pourquoi craindre la mort quand nous sommes esclaves ? 12
Disait-il ; mourir, c’est, affranchi des entraves, 12
45 Aborder l’infini. 6
Ce n’est pas le Romain dont le glaive moissonne, 12
C’est le destin qui frappe et c’est l’heure qui sonne 12
Quand l’exil est fini. 6
« Si parmi nos guerriers Hésus ne peut descendre, 12
50 Qu’à César effrayé ne restent plus que cendre 12
Et que débris fumants. 6
Qu’il dise : « Je n’ai pu, même chargés de chaînes, 12
« Asservir les Gaulois. » Et tous, sous les grands chênes, 12
Répétaient ses serments. 6
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
55 Et pourtant, les Romains restèrent dans la Gaule, 12
Mais Romains ou Gaulois, le nom n’est qu’un symbole, 12
Tous les peuples sont un. 6
Ce qui fait les combats, ce qui fait les frontières, 12
C’est l’abus de la force et le peu de lumières, 12
60 L’égoïsme importun. 6
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Par le glaive romain, au pied même des chênes, 12
Le barde fut frappé ; tout le sang de ses veines 12
Bondit en flots pressés. 6
Il mourut ; le destin et la voix des présages, 12
65 Autour du noir cromlech, dans les souffles d’orages, 12
S’étaient-ils donc trompés ? 6
Non, toujours ceux qui sont morts en disant : Patrie ! 12
Que le peuple le sache, ou bien qu’il les oublie, 12
Ont leurs destins marqués. 6
70 Les uns sont éclaireurs et les autres victimes. 12
Tous viennent à leur heure, effrayants ou sublimes, 12
Vivants ou trépassés. 6
Il est donc revenu dans les jours de tempêtes ; 12
Semblable aux épis mûrs dont s’inclinent les têtes, 12
75 La foule en a frémi. 6
Il est venu, laissant du sommet des falaises, 12
De la cime des monts, tomber des Marseillaises 12
Sur le monde endormi. 6
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