Métrique en Ligne
MEN_5/MEN43
corpus Pamela Puntel
Catulle MENDÈS
ODELETTE GUERRIÈRE
(poème extrait du recueil : Poésies, tome II, 1892)
1870
ODELETTE GUERRIÈRE
Dite par Mlle CROIZETTE, de la Comédie-Française
Si j’ai la mine un peu hautaine 8
En ces jours de deuil et d’horreurs, 8
C’est qu’on la nommé capitaine 8
Dans un bataillon d’éclaireurs. 8
5 Ma meilleure amie en enrage : 8
Son mari n’est que caporal. 8
Mais je souris du commérage 8
Avec un dédain martial. 8
Il est parvenu sans entrave 8
10 A ce haut point d’avancement 8
Parce qu’il était le plus brave, 8
Comme il était le plus charmant. 8
Certes, quand il a pris les armes, 8
J’avais le cœur bien anxieux ; 8
15 A force de verser de larmes, 8
J’ai rougi le bord de mes yeux ; 8
Mais, n’importe, j’ai dit : « Qu’il parte ! » 8
Bien que née au quartier d’Antin, 8
J’ai le cœur des femmes de Sparte 8
20 Sous mon corsage de satin. 8
Quoiqu’il me laissât éplorée, 8
Craignant de ne plus le revoir, 8
J’étais fière d’être adorée 8
De qui préférait son devoir. 8
25 Puis il porte avec tant de grâce 8
L’uniforme aux belles couleurs 8
Où son grand sabre s’embarrasse, 8
Qu’il faisait sourire mes pleurs. 8
Au képi rouge qu’on incline 8
30 D’un air vainqueur, sur le côté, 8
J’ai cousu moi-même, câline, 8
Le triple filet argenté. 8
En me donnant des airs farouches, 8
Mais qui demeuraient élégants, 8
35 J’ai touché ses noires cartouches, 8
Sans avoir peur, du bout des gants. 8
Et lui, qui part pour les armées, 8
Riait de mes ars aguerris 8
En baisant mes mains parfumées 8
40 De poudre et de poudre de riz. 8
J’aurais été jusqu’à le suivre, 8
Vivandière, s’il eût fallu, 8
Et prête à ne pas lui survivre ; 8
Le jaloux ne l’a pas voulu ! 8
45 Il objectait qu’au corps de garde 8
Les gens tiennent des propos fous, 8
Et que, belle, on vous y regarde 8
Parfois avec des yeux trop doux. 8
Mais je n’ai pas peur qu’il m’oublie, 8
50 Car il a, du moins, emporté 8
Un portrait où je suis jolie 8
Et qu’il ne trouve pas flatté. 8
D’une périlleuse aventure 8
Plus d’un revint sauf et vainqueur, 8
55 A cause d’une miniature 8
Ferme entre la balle et le cœur. 8
Reviendra-t-il ? heures affreuses ! 8
La canonnade est sans pitié 8
Pour les plaintives amoureuses 8
60 Que son bruit seul tue à moitié. 8
Dieu ! si quelque jour à ma porte, 8
S’arrêtait, présage accablant, 8
La triste voiture qui porte 8
Une croix rouge sur fond blanc ! 8
65 Le front pâle, la lèvre inerte 8
Et l’œil clos comme lorsqu’on dort, 8
Si, par la portière entr’ouverte, 8
Il m’apparaissait mourant, mort ! 8
Tu mens, tu mens, chimère noire, 8
70 Qui me tortures trop souvent ! 8
Au jour joyeux de la victoire 8
Je le reverrai bien vivant, 8
Fier de son poudreux uniforme 8
Et m’apportant, présent exquis, 8
75 Quelque casque prussien, énorme, 8
Que sa valeur aura conquis ! 8
Je mettrai cet objet morose 8
Dans le boudoir aux rideaux sourds 8
Où de silence et d’ombre rose 8
80 Est fait le nid de nos amours. 8
Lourd devant la glace légère, 8
Le faîte égayé d’un pompon, 8
Il ornera mon étagère 8
Entre deux vases du Japon. 8
85 Et, pour humilier la guerre 8
Dont j’eus le cœur si tourmenté, 8
Dans ce casque effrayant naguère, 8
Maintenant contrit et dompté, 8
Nous cacherons les amulettes 8
90 De notre amour, billets, cheveux, 8
Et le bouquet de violettes 8
Qui t’a fait mes premiers aveux ! 8
logo du CRISCO logo de l'université