Métrique en Ligne
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Catulle MENDÈS
Pagode
1866
Dialogue D’Yama Et D’Yamî
d'après Le Rig-Véda
À Michel Baronnet
YAMÎ
Selon le rhythme lent de vers scandant ses pas, 12
Le Riçhi matinal traverse la pelouse. 12
Vers le sein d’Yamî, ta sœur et ton épouse, 12
Remonte, fils des Eaux ! le courant du trépas. 12
YAMA
5 Pareil au faon mort-né d’une triste antilope, 12
Je n’aurai pas d’épouse et je n’ai pas de sœur ; 12
Dans l’immobilité de sa noire épaisseur 12
Le tronc de l’arani mystique m’enveloppe. 12
YAMÎ
Les dix frères vaincront le mystique arani, 12
10 Afin qu’au bleu retour des Aurores prospères 12
Je puisse voir le fils auguste de mes pères 12
S’allonger près de moi sur le gazon béni ! 12
YAMA
Nombre chétif épars dans l’infini des sommes, 12
J’ai rendu mon essence au Nuage, au Soleil 12
15 Mon regard, et je dors un ténébreux sommeil 12
Loin de ta couche, ô toi qui veux le mal des hommes ! 12
YAMÎ
Tu sortiras plus clair de plus d’ombre, Yama, 12
Car c’est en toi que l’Être auguste se recrée, 12
Et l’amant glorieux dé la Coupe sacrée 12
20 Dans le céleste flanc des ondes te forma ! 12
YAMA
On a vu s’abîmer les splendeurs éphémères 12
Avec la troupe bleue et fauve des Haris ; 12
Sur les foyers obscurs, près des vases taris, 12
Je suis né de ta mort, Agni, fils des deux mères ! 12
YAMÎ
25 Les cavales d’Indra s’élanceront encor ! 12
L’une à l’autre, mêlons nos âmes, divin couple. 12
Tu sembleras, lié de ma ceinture souple, 12
Un bel arbre envahi par des lianes d’or. 12
YAMA
Les sept coursiers soumis à quatre jougs de flammes, 12
30 Sans éclairer mon œil, éblouiront le tien ; 12
La liane aux fleurs d’or n’aura pas de soutien ; 12
Nous ne mêlerons pas, l’une à l’autre, nos âmes. 12
YAMÎ
Quand nous dormions encor au ventre originel. 12
L’aïeul parla. « Vêtus d’une splendeur égale. 12
35 Soyez époux, dit-il. Que la sœur conjugale 12
Sans fin demeure unie au mari fraternel ! » 12
YAMA
Qui l’a su ? qui l’affirme ? Aucun ne peut connaître 12
Son premier jour. Le ciel démesuré n’est pas 12
Un champ d’orge qu’on peut traverser en trois pas, 12
40 Et nul ne sait où gît la source de son être. 12
YAMÎ
Cesse un discours amer. Ma main cherche ta main. 12
Ranime d’un baiser la pâleur de mes joues, 12
Et roulons doucement comme un char à deux roues 12
Qui se livre à la pente heureuse du chemin. 12
YAMA
45 Je ne baiserai point le jasmin de tes joues 12
Ni ta bouche pareille à la fleur des âmras ; 12
Sous la tête d’un autre époux glisse ton bras, 12
Et roulez doucement comme un char à deux roues. 12
YAMÎ
Que deviendra l’amie, hélas ! loin de l’ami, 12
50 Et qu’est-ce qu’une sœur de son frère sevrée ? 12
L’âme veuve succombe, à Nirriti livrée ; 12
Sans l’amour d’Yama, c’en est fait d’Yamî ! 12
YAMA
Meurs donc, et laisse-moi, femelle aux bras avides, 12
Sous le ciel, à jamais dépourvu de matins, 12
55 Que hantent les Dévas tristes des Feux éteints, 12
M’exhaler sans retour en des ombres livides ! 12
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