Métrique en Ligne
MAU_1/MAU11
Guy de MAUPASSANT
DES VERS
1868-1880
L’AÏEUL
L’aïeul mourait froid et rigide. 8
Il avait quatre-vingt-dix ans. 8
La blancheur de son front livide 8
Semblait blanche sur ses draps blancs. 8
5 Il entr’ouvrit son grand œil pâle, 8
Et puis il parla d’une voix 8
Lointaine et vague comme un râle, 8
Ou comme un souffle au fond des bois. 8
Est-ce un souvenir, est-ce un rêve ? 8
10 Aux clairs matins de grand soleil 8
L’arbre fermentait sous la sève, 8
Mon cœur battait d’un sang vermeil. 8
Est-ce un souvenir, est-ce un rêve ? 8
Comme la vie est douce et brève ! 8
15 Je me souviens, je me souviens 8
Des jours passés, des jours anciens ! 8
J’étais jeune ! je me souviens ! 8
Est-ce un souvenir, est-ce un rêve ? 8
L’onde sent un frisson courir 8
20 A toute brise qui s’élève ; 8
Mon sein tremblait à tout désir. 8
Est-ce un souvenir, est-ce un rêve, 8
Ce souffle ardent qui nous soulève ? 8
Je me souviens, je me souviens ! 8
25 Force et jeunesse ! ô joyeux biens ! 8
L’amour ! l’amour ! je me souviens ! 8
Est-ce un souvenir, est-ce un rêve ? 8
Ma poitrine est pleine du bruit 8
Que font les vagues sur la grève, 8
30 Ma pensée hésite et me fuit. 8
Est-ce un souvenir, est-ce un rêve 8
Que je commence ou que j’achève ? 8
Je me souviens, je me souviens ! 8
On va m’étendre près des miens ; 8
35 La mort ! la mort ! je me souviens ! 8
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