Métrique en Ligne
MAN_1/MAN3
corpus Pamela Puntel
Eugène MANUEL
LES PIGEONS DE LA RÉPUBLIQUE
édition partielle du recueil : PENDANT LA GUERRE (1872)
1870
BON JOUR, BON AN !
COMPLIMENT AU PUBLIC
Récité
à la Comédie-Française, le 1er janvier 1871
par M. COQUELIN
« Bon jour, bon an ! » disaient nos pères 8
Dans les logis les moins prospères 8
Se glissait un rayon d'espoir, 8
Quand la jeune et riante année 8
5 Au manteau de la cheminée, 8
En grelottant, venait s'asseoir ! 8
L'heure présente est rude et sombre ! 8
Nul n'oserait compter le nombre 8
Des deuils qu'il nous faudra mener ; 8
10 Et Décembre à Janvier n'apporte. 8
Au lieu de sa joyeuse escorte, 8
Que des Prussiens à canonner ! 8
Pourtant, en dépit des menaces, 8
Nos espérances sont tenaces 8
15 A nos foyers et dans nos cœurs ; 8
Et j'ai voulu vous parler d'elles, 8
Vous qui venez, amis fidèles, 8
Jusqu'ici braver nos vainqueurs ! 8
La rampe a perdu son prestige. 8
20 Emportés d'un commun vertige, 8
La guerre est notre seul discours ! 8
Notre maison, plus familière, 8
Vous offre, comme eût fait Molière, 8
Le compliment des heureux jours. 8
25 Nos vœux d'abord pour ceux qui luttent : 8
Engagés d'hier, qui débutent 8
Dans les grands rôles de héros ! 8
Nos vœux pour ces soldats imberbes 8
Qui partent, chantant et superbes, 8
30 Sous la mitraille des bourreaux ! 8
Pour ceux qui, dédaignant l'asile 8
Des champs plus sûrs où l'on s'exile, 8
Sont restés où l'on se défend ! 8
Pour ceux qui souffrent en silence 8
35 Le froid, la faim, la mort, l'absence, 8
— L'absence d'un petit enfant ! 8
Ce matin, à la première heure, 8
Qu'elle était morne la demeure 8
D'où ces jolis êtres ont fui ! 8
40 Ah ! triste siège ! ah ! temps hostiles ! 8
Ah ! chères bouches inutiles, 8
Si nécessaires aujourd'hui ! 8
A l'an prochain toutes ces fêtes, 8
Le groupe aimé des jeunes têtes 8
45 Apparaissant au bord du lit ; 8
Et, devant le petit Tantale, 8
Ces jouets que le père étale, 8
Et ces vœux qu'un baiser remplit ! 8
O vous, dont l'âme au loin voyage 8
50 Vers la montagne ou vers la plage 8
Où la famille a fait son nid, 8
Que, pour prix d'un tel sacrifice, 8
Chaque ballon vous soit propice, 8
Chaque ramier vous soit béni ! 8
55 Puissiez-vous bientôt, sous la voûte 8
Où l’œil guette, où l'oreille écoute, 8
Voir enfin fumer la vapeur, 8
Entendre siffler sur la voie 8
Ce signal qui sème la joie, 8
60 Et qui, ce jour-là, fera peur ! 8
Et quand, resserré par la foule, 8
Ainsi qu'un fleuve qui s'écoule, 8
Le flot des voyageurs descend, 8
Vous rejoindre, d'un œil avide, 8
65 Ceux qui restèrent, sans un vide ; 8
Ceux qui rentrent, sans un absent ! 8
Des vœux encor ! que la souffrance 8
Nous dicte, après la délivrance, 8
Des devoirs mâles et nouveaux ! 8
70 Que tout s'apaise dans les âmes ! 8
Vieillards, enfants, hommes et femmes, 8
La République a ses travaux ! 8
A nous l'honneur, à toi la honte, 8
Vieille Europe à trembler si prompte, 8
75 Si lente lorsqu'il faut agir ! 8
Pour ton châtiment, sois muette ! 8
C'est le rôle qu'on te souhaite : 8
Et rougis, — si tu peux rougir ! 8
Et toi, France, France adorée, 8
80 Sois guérie et régénérée, 8
Pour avoir saintement lutté ! 8
Puisses-tu renaître plus grande, 8
Toi dont le sang pur est l'offrande 8
Que tu fais à la liberté ! 8
85 Tu peux saigner : mais ta blessure 8
Qu'un ennemi cruel pressure, 8
Est plus noble que son acier : 8
Tu peux tomber : tu te relèves 8
Plus forte, pour briser les glaives, 8
90 O peuple, entre tous, justicier ! 8
Tu prolongeais un culte impie : 8
Mais l'erreur des pères s'expie ! 8
Où sont les coups que tu frappais ? 8
Hélas ! ne parlons plus de gloire ! 8
95 Il faut recommencer l'histoire 8
Dans la majesté de la paix ! 8
Comme autrefois, éclaire encore ; 8
Travaille au droit qui s'élabore ; 8
Et fais un jour pâlir d'horreur 8
100 Ceux qui reçoivent et qui donnent, 8
Au bruit des obusiers qui tonnent, 8
Des diadèmes d'empereur ! 8
Des empereurs ! quelle démence ! 8
Allemagne, ton tour commence : 8
105 C'est la revanche de Sedan ! 8
C'est bien toi qui l'auras voulue ! 8
— Et maintenant, je vous salue, 8
Et je vous dis : « Bon jour, bon an ! » 8
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