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MAL_1/MAL13
Stéphane MALLARMÉ
POÉSIES
(édition DEMAN)
1887
L'AZUR
De l'éternel azur la sereine ironie 12
Accable, belle indolemment comme les fleurs, 12
Le poëte impuissant qui maudit son génie 12
À travers un désert stérile de Douleurs. 12
5 Fuyant, les yeux fermés, je le sens qui regarde 12
Avec l'intensité d'un remords atterrant, 12
Mon âme vide. Où fuir ? Et quelle nuit hagarde 12
Jeter, lambeaux, jeter sur ce mépris navrant ? 12
Brouillards, montez ! Versez vos cendres monotones 12
10 Avec de longs haillons de brume dans les cieux 12
Qui noiera le marais livide des automnes 12
Et bâtissez un grand plafond silencieux ! 12
Et toi, sors des étangs léthéens et ramasse 12
En t'en venant la vase et les pâles roseaux, 12
15 Cher Ennui, pour boucher d'une main jamais lasse 12
Les grands trous bleus que font méchamment les oiseaux. 12
Encor ! que sans répit les tristes cheminées 12
Fument, et que de suie une errante prison 12
Éteigne dans l'horreur de ses noires traînées 12
20 Le soleil se mourant jaunâtre à l'horizon ! 12
― Le Ciel est mort. ― Vers toi, j'accours ! donne, ô matière, 12
L'oubli de l'Idéal cruel et du Péché 12
À ce martyr qui vient partager la litière 12
Où le bétail heureux des hommes est couché, 12
25 Car j'y veux, puisque enfin ma cervelle, vidée 12
Comme le pot de fard gisant au pied d'un mur, 12
N'a plus l'art d'attifer la sanglotante idée, 12
Lugubrement bâiller vers un trépas obscur… 12
En vain ! l'Azur triomphe, et je l'entends qui chante 12
30 Dans les cloches. Mon âme, il se fait voix pour plus 12
Nous faire peur avec sa victoire méchante, 12
Et du métal vivant sort en bleus angelus ! 12
Il roule par la brume, ancien et traverse 12
Ta native agonie ainsi qu'un glaive sûr ; 12
35 Où fuir dans la révolte inutile et perverse ? 12
Je suis hanté. L'Azur ! l'Azur ! l'Azur ! l'Azur ! 12
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