Métrique en Ligne
LSR_1/LSR76
Daniel LESUEUR
(Jeanne LOISEAU)
POÉSIES
1986
PAROLES D'AMOUR
REPENTIR
Je suis triste, ô grands bois ! j'ai péché contre vous. 12
Vous courbiez sur nos fronts vos feuillages si doux, 12
Qu'assombrissait la nuit divine ; 8
Et nous pouvions errer en nous disant tout bas 12
5 Ces choses que, souvent, l'oreille n'entend pas 12
Tandis que le cœur les devine. 8
Hélas ! et mes discours vous ont tous mis en deuil. 12
J'ai laissé s'élever la voix de mon orgueil 12
Dans votre auguste et pur silence, 8
10 Et j'ai blessé celui qu'en secret vous charmiez. 12
Dites, m'écoutiez-vous quand vous vous endormiez 12
Au vent du soir qui vous balance ? 8
Lui ‒ lui, qui s'irritait ‒ ne souffre déjà plus, 12
Car j'ai chargé son mal de baumes superflus ; 12
15 J'ai guéri sans peine sa plaie. 8
Il sait que je suis fière et qu'il était jaloux, 12
Et que l'amour parfois, dans ses caprices fous, 12
Met notre âme ainsi sur la claie. 8
Mais vous, m'accordez-vous aussi votre pardon ? 12
20 Vous avez par moments de doux airs d'abandon 12
Qu'avec ivresse je contemple ; 8
Vous murmurez des bruits tendres comme des mots, 12
Et vous arrondissez vos superbes rameaux 12
Ainsi que les arceaux d'un temple. 8
25 Le jour, des fleurs sans nombre émaillent vos sentiers. 12
Vous êtes rayonnants, sur vos sommets altiers 12
L'azur tend ses immenses toiles ; 8
Mais je vous aime mieux dans le calme des soirs, 12
Quand vous êtes pensifs, et que vos arbres noirs 12
30 Pour fruits d'or portent des étoiles. 8
Si jamais j'ai rêvé de bonheur infini, 12
Sans cesse j'y mêlais votre charme béni, 12
O grands bois frissonnants et sombres ! 8
Afin de l'enchanter d'un songe surhumain, 12
35 J'avais conduit celui que j'aime par la main 12
Dans la profondeur de vos ombres. 8
Et puisque je l'ai fait souffrir dans ces beaux lieux, 12
Puisqu'il a pu, sous votre abri mystérieux, 12
Douter de mon amour sans bornes, 8
40 Je vous croirai toujours irrités contre moi, 12
Et je verrai toujours en tressaillant d'effroi 12
Frémir vos hautes cimes mornes. 8
Mais du moins entendez aujourd'hui mon serment : 12
Lorsque je marcherai pas à pas, lentement, 12
45 Près de lui sous vos voûtes fraîches ; 8
Soit que le gai printemps fasse éclore les nids, 12
Soit que le vent d'hiver sur les chemins brunis 12
Roule à nos pieds vos feuilles sèches ; 8
Craignant l'âpre regret et l'amer souvenir, 12
50 Je ne laisserai point à ma lèvre venir 12
Des mots moins doux que ma pensée. 8
De mes torts d'un instant, bien que légers et courts, 12
Humble, je veux distraire et consoler toujours 12
Sa chère âme que j'ai blessée. 8
55 Et s'il veut éprouver son pouvoir absolu, 12
‒ Ce pouvoir sous lequel l'amour a résolu 12
De plier ma fière nature, ‒ 8
Docile, il me verra suivre ses volontés, 12
S'il vous invoque et s'il m'entraîne à ses côtés 12
60 Dans vos abîmes de verdure. 8
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