Métrique en Ligne
LSR_1/LSR68
Daniel LESUEUR
(Jeanne LOISEAU)
POÉSIES
1986
PAROLES D'AMOUR
LETTRE ÉCRITE AU PRINTEMPS
Hier la neige encor couvrait les plaines mornes, 12
Les flots étaient changés en cristaux clairs et durs, 12
Et nos cœurs se taisaient, pleins de doutes obscurs, 12
Dans les limpides soirs aux tristesses sans bornes, 12
5 Quand la lune montait, lente, au fond des cieux purs. 12
Et ce matin voici comme une molle haleine 12
Flottante autour de nous dans les airs attiédis ; 12
L'eau ruisselle en torrents sur les prés reverdis, 12
Et la forêt, de vie et de voix toute pleine, 12
10 Semble tendre au doux vent ses grands bras engourdis. 12
C'est un moment rempli d'ineffable surprise. 12
Nous savions que l'hiver devait s'enfuir un jour, 12
Pourtant nous éprouvons, dans le soudain retour 12
De ce baiser d'en haut, de cette chaude brise, 12
15 Comme l'émoi causé par un naissant amour. 12
Pour moi, j'ai mieux encor que cette vague ivresse ; 12
Je vois dans le printemps la fin de votre exil. 12
Je ne murmure plus : « Hélas ! reviendra-t-il ? » 12
Le souffle des beaux jours a chassé ma détresse, 12
20 Je respire l'espoir en son parfum subtil. 12
Oh ! oui, vous reviendrez… Tout l'annonce et le chante. 12
Dans mes songes déjà je crois voir sur la mer, 12
La proue à l'occident, filer un grand steamer. 12
Il sera, ce retour dont l'image m'enchante, 12
25 Doux autant qu'autrefois le départ fut amer. 12
Venez… Nous reprendrons nos longues causeries ; 12
Dans nos cœurs éprouvés nous lirons jusqu'au fond. 12
Au-dessus des humains et du vain bruit qu'ils font, 12
Quelle extase ravit deux âmes attendries 12
30 Lorsqu'une intimité sublime les confond ! 12
L'amour nous a conduits par de mystiques voies. 12
Vous l'accusiez un jour d'avoir trop tard uni 12
Nos cœurs, où plus d'un rêve, hélas ! s'était terni ; 12
Mais il nous préparait d'inconcevables joies, 12
35 Car il nous mûrissait pour le moment béni. 12
Il nous fallait d'abord devenir forts et graves, 12
Avoir beaucoup lutté, cherché, compris, souffert, 12
Vu l'abîme des temps sous nos pas entr'ouvert, 12
Et dominé le sort tranquillement, en braves, 12
40 Pour que le vrai bonheur enfin nous fût offert. 12
Ce que nous nous dirons par les douces soirées, 12
Dans le bruit de la ville ou le repos des bois, 12
Sera tendre et profond, mais austère parfois, 12
Car nos mains ont touché bien des choses sacrées ; 12
45 L'angoisse du néant fera trembler nos voix. 12
Mais un arome fin monte du sol humide 12
Où la neige d'hier a doucement fondu. 12
C'est le printemps, ami… Vous êtes attendu. 12
Un petit passereau module un chant timide, 12
50 Puis s'étonne, et soudain vole tout éperdu. 12
Oh ! combien je jouis de ces métamorphoses ! 12
Chacune tour à tour va grandir mon espoir. 12
Des fleurs !… Il va s'ouvrir des fleurs sur le sol noir ! 12
Venez… Il ne faut pas faire mentir les choses, 12
55 Et les arbres m'ont dit que je vais vous revoir. 12
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