Métrique en Ligne
LSR_1/LSR62
Daniel LESUEUR
(Jeanne LOISEAU)
POÉSIES
1986
PAROLES D'AMOUR
PHILOSOPHIE
Je songe bien souvent à votre œuvre profonde, 12
A ce plan gigantesque en votre esprit conçu : 12
Retracer pas à pas le chemin que le monde 12
Poursuit à son insu ; 6
5 Cet unique chemin où, dans l'ombre éternelle, 12
Tout en semblant errer, marche le genre humain ; 12
Où jadis de ses dieux la bonté paternelle 12
Le guidait par la main. 6
Vous contemplez partout les forces impassibles ; 12
10 Sans pouvoir présumer leurs effets à venir, 12
Sans décider non plus sur leurs causes possibles 12
Et sans les définir, 6
Vous voulez seulement constater leur empire, 12
Dire où leur bras de fer a dirigé nos pas. 12
15 Si pour d'autres Demain sera meilleur ou pire, 12
Vous ne le cherchez pas. 6
Et Demain toutefois, recueillant vos idées, 12
En illuminera le Passé, noir décor ; 12
Elles iront ainsi, par le temps fécondées, 12
20 Grandissantes encor. 6
Elles ajouteront leur pierre à l'édifice 12
Dont vous étudiez, pensif, les fondements : 12
Tour dont le sang des cœurs, les pleurs du sacrifice 12
Forment les durs ciments, 6
25 Et qui monte toujours, Babel inébranlable, 12
Et qu'on n'augmentera qu'en faisant comme vous, 12
En sondant les secrets du passé formidable, 12
Car lui seul est à nous. 6
Moi, qui de ces lueurs reste tout éblouie, 12
30 Et qui toujours échappe à la réalité, 12
J'eus un songe embrassant ‒ vision inouïe ! ‒ 12
La vague immensité. 6
Je vis l'effort constant de l'ardente Nature, 12
A chaque illusion accordant son tribut 12
35 Et suivant jusqu'au bout l'éternelle aventure, 12
Toucher enfin le but. 6
De progrès en progrès se cherchant elle-même, 12
Grâce à des millions de siècles entassés 12
La matière unirait dans un être suprême 12
40 Ses pouvoirs dispersés. 6
Elle aurait ce jour-là la pleine conscience 12
De son essence propre et de ses propres lois ; 12
Toute évolution et toute expérience 12
Cesseraient à la fois. 6
45 Les temps seraient remplis. La puissance infinie 12
N'étant qu'un attribut de l'absolu savoir, 12
Il paraîtrait enfin, ce Dieu que l'esprit nie, 12
Que le cœur voudrait voir. 6
Ainsi s'expliquerait le tourment indicible, 12
50 Le désir implacable et de tous les instants 12
Qui sur l'âpre chemin du bonheur impossible 12
Nous traîne haletants. 6
Ce rêve d'idéal, d'amour et de lumière, 12
Qui commence à la bête et qui finit à Dieu, 12
55 Nous charme, nous, chétifs, à la forme première 12
Disant à peine adieu. 6
Mais tandis qu'autrefois, par une erreur grossière, 12
Nous placions hors de nous la divine grandeur, 12
Nous savons aujourd'hui que de notre poussière 12
60 Doit surgir sa splendeur. 6
Nous la portons en nous, comme l'infime atome 12
En germe recélait l'esprit qui resplendit. 12
Quoi ! déjà dans nos seins le sublime fantôme 12
Se dégage et grandit. 6
65 Triomphe, ivresse, espoir où notre orgueil s'abreuve ! 12
Hélas ! qu'il nous soit doux au moins de le penser, 12
Car la loi qui nous fit, gauche et fragile épreuve, 12
Va nous recommencer. 6
Mais peut-être, ‒ ô mystère ! ô synthèse des choses ! 12
70 Enfantement brutal, horrible, essentiel, 12
Dont tout souffre, l'insecte en ses métamorphoses 12
Et l'astre énorme au ciel, ‒ 6
Peut-être, dans l'immense et finale harmonie, 12
Rien ne s'étant perdu, nos maux, nos passions 12
75 Feront plus de clarté que la gloire infinie 12
Des constellations. 6
Et puisque, élaborant un Dieu, créant un être 12
Qui réunisse en soi ses milliers d'éléments, 12
La Force unique doit avant tout se connaître 12
80 En tous ses changements, 6
Vous, dont l'œil calme a lu dans le temps et l'espace, 12
Qui voulez, pressentant cette suprême loi, 12
Dire à l'humanité qui se hâte et qui passe : 12
« Attends, regarde-toi ! » 6
85 Vous êtes en avant de la foule frivole, 12
Vous avez fait un pas vers l'accomplissement, 12
Et votre voix tranquille a mis une parole 12
Dans notre bégaiement. 6
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