Métrique en Ligne
LSR_1/LSR53
Daniel LESUEUR
(Jeanne LOISEAU)
POÉSIES
1986
SOUVENIRS
LE SOMMEIL
La nuit répand sur tout son ombre impartiale, 12
Et dans le fond des cieux le jour s'est retiré, 12
Comme un époux fermant la chambre nuptiale. 12
Vers le monde obscurci, tour à tour attiré, 12
5 Chaque regard d'en haut, tombant de chaque étoile, 12
Se tourne, et fait pâlir le poète inspiré. 12
La volupté puissante ôte en riant son voile… 12
Et le tambour du pitre, au bord du grand chemin, 12
Très tard ébranle encor la baraque de toile. 12
10 Ma lampe, clignotante ainsi qu'un œil humain 12
Dont la veille ou les pleurs ont gonflé la paupière, 12
S'affaiblit, et ma plume échappe de ma main. 12
O Sommeil ! c'est vers toi que monte ma prière. 12
Viens, toi, presque aussi doux qu'est la très douce Mort, 12
15 Sur mon front incliné pose ton doigt de pierre. 12
Que la Nature est tendre à l'homme qui s'endort ! 12
Quand elle eut du néant tiré nos pauvres âmes, 12
Elle fit le sommeil, prise par un remord. 12
Le sommeil… le repos, le nirvanâ des brahmes, 12
20 Instants qui sont pour nous, par leur oubli profond, 12
Les meilleurs après ceux dans lesquels nous aimâmes. 12
Matière inerte et sourde en qui tout se confond, 12
Toi qui n'as pas de chair douloureuse et subtile, 12
Quand tu m'ouvres ton sein, j'y descends jusqu'au fond ; 12
25 Je dors, je t'appartiens, la douleur inutile 12
Est vaincue, et mon cœur est plus indifférent 12
Que n'est le marbre dur que le sculpteur mutile. 12
Ce bonheur passager que le réveil reprend, 12
Avant-goût du bien-être immense de la tombe, 12
30 Devenant éternel, enchante le mourant. 12
Sommeil, je t'ai prié… Tes bras s'ouvrent… J'y tombe. 12
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