Métrique en Ligne
LSR_1/LSR2
Daniel LESUEUR
(Jeanne LOISEAU)
POÉSIES
1986
VISIONS DIVINES
FANTÔMES DIVINS
A l'heure où votre ciel croule, 7
O dieux des siècles passés ! 7
Quand le monde rit et foule 7
Tous vos trônes renversés, 7
5 Je m'attendris et je songe 7
Que votre subtil mensonge 7
De l'Idéal qui nous ronge 7
Est le radieux flambeau. 7
Tous nos rêves dans votre ombre 7
10 Ont flotté, formes sans nombre, 7
Et votre gloire qui sombre 7
Met notre espoir au tombeau. 7
Heureux ceux que notre sphère, 7
En ses horizons étroits, 7
15 Peut désormais satisfaire, 7
Sous les cieux vides et froids ! 7
Heureux ceux dont la pensée, 7
Parfois déçue et lassée, 7
Vers la chimère effacée 7
20 Ne se retourne jamais, 7
Et dont le rêve impassible, 7
Restreint au monde sensible, 7
Ne poursuit pas l'impossible 7
Jusqu'aux plus lointains sommets ! 7
25 Pour moi, dans la vieille Égypte, 7
Je m'égare sans remords 7
Au sein de la sombre crypte 7
Où vivent toujours ses morts. 7
J'aime à croire qu'endormie 7
30 Dans l'étroite tombe amie, 7
La somptueuse momie 7
Songe encore aux jours anciens, 7
Et qu'en sa fixe prunelle, 7
Durant la vie éternelle, 7
35 Luit la vision charnelle 7
Des bonheurs qui furent siens. 7
Ou bien, sur les bords du Gange, 7
Dans un lumineux décor, 7
Je contemple un monde étrange 7
40 Et j'ai des ailes encor. 7
Parmi les temps insondables, 7
Mes destins inévitables 7
Par des nombres formidables 7
Comptent les ans révolus, 7
45 Car les siècles par centaines 7
Font les âmes incertaines 7
Dignes de boire aux fontaines 7
Où s'enivrent les élus. 7
Sous l'arbre au feuillage antique, 7
50 Je m'assieds avec Bouddha, 7
Épris du songe mystique 7
Dont la beauté l'obséda. 7
Là, sa douce âme pensive 7
Vit s'approcher, agressive, 7
55 La tentation lascive 7
Des corps éclatants et nus ; 7
Ferme, il poursuivit sa voie, 7
Car l'éclair de notre joie 7
Est dérisoire et se noie 7
60 En des gouffres inconnus. 7
Parfois, dans la steppe aride 7
De l'Iran sec et poudreux, 7
Sur le désert, qui se ride 7
Vers l'horizon vaporeux, 7
65 Je distingue dans la brume, 7
Parmi l'air qui se parfume, 7
Une simple pierre où fume 7
Et flambe quelque tison : 7
De l'Arya des vieux âges, 7
70 Suivant ses pieux usages, 7
C'est là l'autel où ses sages 7
Murmurent leur oraison. 7
Des hauts remparts de Carthage, 7
Où la terre aux flots s'unit, 7
75 J'adore, un soir, sans partage, 7
Le front si pur de Tanit. 7
Dominant la mer tranquille, 7
Elle sourit, immobile, 7
Et sa puissance subtile 7
80 Enchante et dissout le cœur ; 7
Ou bien son fin croissant grêle, 7
Effleurant quelque tourelle, 7
Semble, fantastique et frêle, 7
Un hiéroglyphe moqueur. 7
85 Et devant quelque humble toile 7
D'un vieux maître florentin, 7
Où les mages voient l'étoile 7
Qui blanchit dans le matin, 7
Je nais aux siècles gothiques, 7
90 Pour chanter de doux cantiques, 7
Sous les merveilleux portiques 7
Tout embrumés par l'encens, 7
Et pour baiser avec joie, 7
Sous le vitrail qui flamboie, 7
95 De Jésus, dont le front ploie, 7
Les membres éblouissants. 7
Non, je ne puis vous maudire, 7
Vous, nos charmeurs, vous, les dieux ! 7
En vain le jour se retire 7
100 De votre ciel radieux, 7
De vous en vain mon cœur doute… 7
Pour éclairer notre route 7
Ce Demain, que je redoute, 7
Qu'a-t-il de meilleur que vous ? 7
105 Dans notre existence brève, 7
Vaut-il mieux marcher sans trêve, 7
Ou s'enchanter d'un grand rêve, 7
Les mains jointes, à genoux ? 7
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