Métrique en Ligne
LSR_1/LSR10
Daniel LESUEUR
(Jeanne LOISEAU)
POÉSIES
1986
LES VRAIS DIEUX
II
L'ILLUSION
J'ai vu l'Illusion m'apparaître en un songe, 12
Quand mon cœur, tourmenté par l'éternel Désir, 12
Reconnaissait enfin le vide et le mensonge 12
Des biens toujours fuyants qu'il avait cru saisir. 12
5 J'étais las de l'attente et las de l'espérance, 12
Je voulais, oubliant qu'il est un lendemain, 12
Recueillir jour à jour avec insouciance 12
Chaque fragile fleur éclose en mon chemin. 12
J'enviais le long rêve et la fierté tranquille 12
10 De l'animal errant sous les bois ténébreux, 12
Qui n'a jamais connu le salaire servile 12
Ni du labeur sans but porté le joug affreux. 12
J'écoutais, dans l'écho des siècles éphémères, 12
S'élever les accents du seul sage ici-bas, 12
15 De Bouddha, qui disait : « Renonce à tes chimères, 12
Par ton renoncement cesseront tes combats. » 12
Et je croyais toucher la sphère souveraine 12
Où sont assis en paix les dieux indifférents, 12
Qui, sans rire ni pleurs sur leur face sereine, 12
20 Ont vu nos jours amers s'écouler par torrents. 12
C'est alors que, troublant mon impassible rêve, 12
Au bord d'un ciel en feu surgit l'Illusion, 12
Dans le sang du soleil, sur l'éclatante grève 12
Que trace en l'or des soirs la nue en fusion. 12
25 Et sa voix me cria : « Qu'importe la sagesse ? 12
Qu'importe la douleur ? O misérable humain, 12
Ton néant résigné vaudra-t-il ma richesse ? 12
J'ai tes amours, ton ciel et tes dieux dans ma main. 12
« C'est moi qui t'ai conduit dans la nuit des vieux âges ; 12
30 J'ouvris devant tes yeux l'espace illimité ; 12
Soumise à tes désirs, j'ai pris mille visages ; 12
J'ai, dans ton froid tombeau, mis l'immortalité. 12
« Parce que tu saignas sur ce chemin de gloire, 12
Et parce que ton sein se gonfla de sanglots, 12
35 Tu cesses désormais d'espérer et de croire, 12
Tes dieux sont vraiment morts et l'avenir est clos ! 12
« Pose donc sur ton cœur une invincible armure, 12
Sonde avec un œil sec l'austère vérité… 12
Tu me retrouveras au fond de la Nature, 12
40 Moi, ton Illusion, ‒ seule réalité ! 12
« Car je suis la Maya triomphante, éternelle ! 12
Tes sens et ton esprit n'obéissent qu'à moi, 12
Je colore à tes yeux toute forme charnelle, 12
Je suis dans ton plaisir, je suis dans ton effroi. 12
45 « Quand tu crois progresser, c'est ton rêve qui change ; 12
Et si ton cœur se ferme, impassible et hautain, 12
Même alors je t'aveugle en ton orgueil étrange. 12
Adore-moi, mortel, car je suis ton destin ! » 12
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