Métrique en Ligne
LOZ_3/LOZ338
Albert LOZEAU
Poésies complètes III
LES IMAGES DU PAYS
précédées des
Lauriers et Feuilles d’Érable
1916
LAURIERS ET FEUILLES D'ÉRABLE
1912-1922
IV. LES IMAGES DU PAYS.
LES FEUILLES
La première feuille jaunie 8
Dans le vent frais a pris son vol ; 8
Son existence étant finie, 8
Elle se couche sur le sol. 8
5 Une autre la suivra, puis toutes, 8
Le long de la nuit et du jour, 8
Joncheront les champs et les routes 8
De leurs petits corps, tour à tour. 8
Leurs formes sont de toutes sortes, 8
10 Et des plus exquises couleurs : 8
Est-ce parce qu’elles sont mortes 8
Qu’elles ressemblent à des fleurs ? 8
On peut, pour en orner sa chambre, 8
En faire un bouquet délicat 8
15 Où le brun clair se mêle à l’ambre, 8
L’ambre au somptueux incarnat. 8
Elles égaîront de nuances 8
La terne clarté des jours gris, 8
En prolongeant les influences 8
20 Des bois au charmant coloris. 8
***
J’en ai suivi sur la rivière 8
Qui s’en allaient bien doucement ; 8
L’eau qui reflétait la lumière 8
Semblait un autre firmament. 8
25 Et celles-là pouvaient se croire 8
Encore en plein ciel de juillet, 8
Car le clair azur dans sa gloire 8
Tout alentour d’elles brillait. 8
Mais d’autres gisent, aussi belles, 8
30 Dans l’obscurité du fossé, 8
Ne voyant pas au-dessus d’elles 8
Leurs sœurs plus heureuses passer. 8
La brise un instant les promène, – 8
Grands papillons, petits oiseaux, – 8
35 Les emporte au loin, les ramène, 8
Franchissant chemins et ruisseaux. 8
Après la descente fatale, 8
Leur tissu léger et soyeux 8
Retourne à la terre natale, 8
40 Et s’y résorbe, poussiéreux… 8
***
Le vent balancera la branche 8
Sans éveiller un seul frisson : 8
La feuille aura pris sa revanche 8
En mourant avec sa chanson. 8
45 Hélas ! chanson trop éphémère, 8
Murmures à peine distincts, 8
Discrets comme un cœur en prière 8
Qui bénit l’azur des matins, – 8
La douce chanson est partie ; 8
50 Nous n’entendrons plus de ces mots 8
Où l’intelligence avertie 8
Sentait s’exprimer les rameaux… 8
Feuille rouge, et toi, feuille brune, 8
Qui fûtes vertes ce printemps 8
55 Et resplendissiez sous la lune 8
Comme des joyaux éclatants, 8
Déjà l’an prochain vous invite : 8
Vous renaîtrez vertes encor, 8
Puisqu’ici-bas tout ressuscite 8
60 Par la vertu du soleil d’or ! 8
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