Métrique en Ligne
LOZ_3/LOZ328
Albert LOZEAU
Poésies complètes III
LES IMAGES DU PAYS
précédées des
Lauriers et Feuilles d’Érable
1916
LAURIERS ET FEUILLES D'ÉRABLE
1912-1922
IV. LES IMAGES DU PAYS.
LA VIGNE
Près de chez nous croît une vigne 8
Qui ne produit pas grand raisin, 8
Dont le vert feuillage s’aligne 8
Et tremble au long du toit voisin. 8
5 Son pied tors est de belle taille, 8
Car le vigneron besogneux 8
Chaque automne l’émonde et taille, 8
Et la soigne comme ses yeux. 8
Ses souples et solides vrilles 8
10 S’accrochent fermement aux murs, 8
Pareilles à des mains viriles 8
Aux muscles résistants et sûrs. 8
Les grives souvent la visitent 8
Quand vient septembre ; avec lenteur, 8
15 Elles se faufilent, hésitent, 8
Et piquent le grain tentateur ! 8
Et puis, elles font la grimace, 8
Car tout leur manège fut vain : 8
Ce fruit acide et coriace 8
20 Ne donnera jamais de vin ! 8
Et renonçant à l’espérance, 8
Elles s’envolent en sifflant 8
Cette vigne de tempérance 8
Dont le jus n’a rien de troublant ! 8
25 Elles ne comprennent pas l’homme 8
Qui l’aime et la garde avec soin, 8
Et fait, à son ombre, un bon somme 8
Quand son corps en sent le besoin. 8
Étant belle, elle est donc utile : 8
30 À des oiseaux dites cela ! 8
La raison leur semble futile 8
Si la pâture n’est pas là ! 8
Rien qu’à voir bouger le feuillage 8
Innombrable et mélodieux, 8
35 Je pense à quelque humble village 8
Plein d’arbres, de pigeons, de vieux. 8
Et je vois, derrière l’église, 8
Dont le lierre a caché le bois, 8
Le sacristain à tête grise 8
40 Arrosant ses choux et ses pois… 8
Rêve frais né du vent qui passe 8
Dans la vigne de mon voisin 8
Je lui dois de franchir l’espace, 8
Qu’elle ait ou n’ait pas de raisin ! 8
45 Je respecte l’homme qui plante, 8
Autour de lui, de la beauté ; 8
Qui, d’une serpe vigilante, 8
Ôte tout ce qu’il faut ôter, 8
Pour que longtemps la force dure 8
50 Dans les rameaux qu’endort l’hiver, 8
Et qu’une nouvelle verdure 8
Naisse, toujours du même vert ! 8
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